Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/797

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Un voile rougeâtre était entre lui et les cartes.

Polyte, immobile et retenant son souffle, voyait pour deux.

Il y eut deux ou trois secondes d’attente, deux siècles ! Puis une rumeur se fit autour de la table.

— Gagné ! disait-on.

— Qui ? demanda Jean d’une voix faible.

Les joueurs se prirent à rire, et un blasphême étouffé de Polyte apprit à Jean la vérité.

Sa joue redevint blême ; il chancela sur son siège.

— Compte, dit Polyte, tu as peut-être plus de quatre mille francs.

Jean se mit à compter ; ses mains étaient molles et tremblantes ! Il avait moins de quatre mille francs !

— C’est fini, grommela Polyte d’un accent découragé. Tu n’as plus rien ! allons nous-en !

Jean ne bougea pas ; il paraissait ne point comprendre.

Quand le râteau de l’employé saisit son tas d’or pour l’amener vers Franz, Jean suivit le râteau d’un œil ébahi et morne.

On riait toujours autour de la table. Le désespoir naïf de ce pauvre diable était quelque chose de très-drôle.

— Allons-nous-en ! répéta Polyte.

Jean comprit enfin. Il voyait le tapis vide devant lui.

Il passa le revers de sa main sur son front ruisselant de sueur, et, pour la première fois depuis qu’il était entré dans cette maison, il releva les yeux tout à fait.

Son regard chercha l’homme qui l’avait gagné.

— Huit mille francs, disait Franz, avec sa gaieté intrépide.

— Voyez donc, murmura Julien à son oreille, comme ce jeune homme vous regarde !

Julien parlait de Jean Regnault, dont les yeux agrandis et brûlants se fixaient sur Franz avec une effrayante expression de haine.

La joue du joueur d’orgue était livide ; ses dents serrées à se briser, refusaient passage à son souffle.

La figure de Franz, gracieuse et souriante, venait de lui apparaître comme la face d’un démon. C’était cette blonde tête qu’il avait aperçue