Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/803

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amis avaient franchi l’allée noire au-devant de laquelle la lanterne peinte brillait encore faiblement ; ils traversèrent le petit jardin planté d’un basilic, et Polyte, se faisant un marteau du bout de sa canne, frappa à la porte du billard.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-on à l’intérieur.

Goîpe[1], répondit Polyte.

— Que voulez-vous ?

Goîper un petit peu, vieux farceur de François… Il gèle ici ; ouvrez-nous la porte !

Le garçon de madame veuve Taburot parut hésiter deux ou trois secondes, puis la porte fut ouverte.

Le billard était désert comme à l’heure où nous sommes entrés pour la première fois au cabaret des Quatre Fils Aymon ; mais de ce bruit, de ce mouvement, de cette gaieté folle qui régnaient naguère dans la salle voisine, il ne restait absolument rien. Au lieu de la lumière abondante qui éclairait, durant le bal, les groupes remuants des danseurs, une seule lampe fumeuse et pâle, placée sur le comptoir, essayait de combattre l’obscurité.

Toutes les tables étaient vides, sauf deux ou trois qui servaient d’oreillers à des buveurs endormis. On n’entendait d’autres bruits qu’un murmure confus, formé par ces ronflements prolongés que l’ivresse lourde donne au sommeil.

À la première vue, on n’apercevait que des gens assoupis sur les tables ; mais à regarder mieux, on finissait par distinguer, dans les demi-ténèbres, des hommes et des femmes en costume de carnaval, étendus pêle-mêle, qui sur les banquettes, qui sur des tabourets rapprochés, qui sur le sol même.

Hommes et femmes semblaient avoir été jetés là comme au hasard et gardaient des poses étranges. Pitois, dit Blaireau, couché sur le dos, avait les deux bras en croix et suait à grosses gouttes, parce que la Duchesse, tombée en travers sur sa poitrine, lui enlevait le souffle. Mâlou, plus heureux, avait une banquette pour lui tout seul ; la tête gracieuse

  1. Mot qui a passé du Temple dans le quartier Latin et ailleurs. Il veut dire bon compagnon, viveur.