— Vraiment, fit Johann. Pas bête, pas bête !…
La voix de Jean prit un accent plaintif.
— Gertraud ! Gertraud ! répéta-t-il ; mon seul bonheur !… elle ne m’aime plus… vous voyez bien, ajouta-t-il en se redressant une seconde fois ; il faut que je le tue !
— Ça me paraît clair, dit Johann ; d’autant que tu feras d’une pierre deux coups… en voilà un petit qui a de la chance de gagner un bon billet de mille francs comme ça sans se déranger !
— Mille francs ! prononça Jean, dont un fugitif éclair de raison traversa la cervelle troublée ; pourquoi me parlez-vous de mille francs ?
— Parce que c’est le même, mon fils, et qu’il nous a volé aussi quelque chose.
— Et vous voulez le tuer ?
— Juste…
Jean quitta brusquement le bras de son compagnon.
— Allez-vous-en, dit-il à voix basse ; je ne vous connais pas.
Ils passaient à ce moment à l’angle du marché, devant l’échoppe des Regnault.
— Voilà pourtant une fameuse place ! dit le marchand de vins, et avec ce qui resterait des mille francs, la pauvre bonne femme pourrait reprendre ses petites affaires… Ah ! ah ! mais tu aimes mieux laisser vivre le beau jeune homme, mon fils, afin qu’il baise encore la main de la jolie Gertraud…
Jean lui saisit le bras de nouveau.
— Qui êtes-vous ? s’écria-t-il d’une voix étouffée ; de qui parlez-vous ?
Avant que Johann eût pu répondre, le joueur d’orgue poursuivit fougueusement :
— Il ressemble à une femme, n’est-ce pas ?… Il a la joue blanche et rose avec de grands cheveux blonds bouclés ?…
— C’est que c’est vrai ! pensa Johann étonné ; le diable est fin… si c’était vraiment le même !… tu fais là tout son portrait, mon garçon, ajouta-t-il à voix haute.
— Il sourit doucement, continua Jean ; on dirait une jeune fille déguisée…