Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lois les plus étroites de la nature, pour qui le temps et l’espace n’existaient pas ?…

Les uns, comme Petite et le docteur, se roidissaient obstinément contre la frayeur victorieuse, et raillaient en frissonnant leur propre épouvante ; d’autres ne discutaient point avec eux-mêmes ; ils sentaient du froid dans leurs veines, et ne cherchaient point à reconnaître la main glacée qui serrait leur poitrine.

Un seul, le plus vaillant de tous, celui qui eût bravé sans pâlir tous les périls de la terre, comptait naïvement avec ses terreurs. Le Madgyar Yanos, fils d’un pays chrétien où la religion s’enveloppe encore dans les rêves brumeux de la poésie du moyen âge, sentait renaître en foule, au fond de son âme, les croyances oubliées. Les personnages de ces mystérieuses légendes qui avaient bercé ses jeunes ans se dressaient devant lui ; une corde, muette depuis longtemps, vibrait dans les ténèbres de son ignorance.

Il songeait au démon, au noir esprit qui plane sur toutes les traditions de la vieille Hongrie.

Sa main serrait machinalement, sous les revers de sa redingote, le canon d’un de ses pistolets ; il cherchait instinctivement de quoi se défendre contre un péril inconnu ; ses doigts frémissaient, ses cheveux se dressaient sur son crâne humide.

Klaus avait disparu.

La silhouette noire d’un homme de grande taille se dessina sur le seuil de la petite chambre, communiquant avec l’escalier de la caisse.

Les six associés, roides sur leurs sièges, pâles et retenant leur souffle, attendaient.

Un silence profond régnait autour du foyer.

L’ombre noire s’avança lentement. Le bruit de ses pas résonnait à intervalles égaux sur le plancher sonore.

On ne voyait point encore la figure du nouvel arrivant, et chacun lui prêtait, selon le rêve de son imagination, une couleur fantastique et surnaturelle.

Et en même temps, chacun doutait, se révoltant en secret contre l’impossible…