Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/169

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Otto les écoutait avec émotion. Comme il ne répondait point encore, les deux frères crurent qu’il leur gardait rancune, et Albert continua :

— Sur mon honneur, Goëtz et moi, nous avons été tous les jours, matin et soir, à la maison de la rue Dauphine… nous demandions M. Franz, et l’on nous répondait qu’il était toujours à Paris… Nous aurions dû nous informer mieux, peut-être…

— Oui, oui, interrompit Goëtz, et moi surtout, j’aurais dû deviner la vérité ; car notre petit Gunther n’avait pas reparu à la table de lansquenet.

— Le mal, conclut Albert en soupirant, c’est que, durant toute une semaine, nous avons fait de la nuit le jour, vivant, Dieu sait où, et fuyant votre présence, mon frère Otto… Il faut tout vous avouer ; nous sommes des misérables !… nous nous étions dit : sur ce mois dérobé à une captivité qui doit durer autant que notre vie, prenons huit jours, d’oubli, d’ivresse et de joies !… vivons encore une semaine, nous, dont l’existence ne sera plus qu’une longue agonie… Soyons heureux et faisons provision de gais souvenirs, pour tout le temps que nous mettrons ensuite à mourir dans nos cellules de la prison de Francfort !

Albert se tut, Goëtz l’imita ; ils attendaient tous les deux la sentence de leur frère.

Celui-ci serra doucement leurs mains unies entre les siennes.

— Dieu qui voit au fond de nos âmes, murmura-t-il, aurait peut-être plus à me pardonner qu’à vous… car, moi aussi, j’ai été faible… Un jour, j’ai ouvert mon cœur à une pensée qui n’était point celle du devoir… Tous les trois, nous avons failli, mes frères ; expions tous les trois notre faiblesse, et ne perdons plus une seule des minutes qui nous restent.

— Nous le jurons ! s’écrièrent à la fois Goëtz et Albert.

— Dans huit jours, reprit Otto, il faut que chacun de nous s’en souvienne, nous ne compterons plus au nombre des vivants… avant que le neuvième jour soit accompli nous devons livrer et gagner notre dernière bataille… Soyons prêts et soyons forts.

— Nous sommes prêts, dirent les deux frères.

— J’ai passé ma dernière nuit d’amour, ajouta Albert.

— J’ai gagné ma dernière partie, dit Goëtz, non sans un léger soupir,