et vidé ma dernière bouteille de bordeaux !… Morbleu ! murmura-t-il en aparté, c’était du château-latour, de l’année de la comète…
— Plaise au ciel maintenant, reprit Otto, que nous arrivions à temps pour le sauver !
— Le danger est-il donc si grand ? demanda Albert, dont l’inquiétude faisait trembler la voix. Vous ne nous avez point dit le contenu de cette lettre, que vous avez reçue ce matin ; nous en sommes à savoir seulement que ce petit diable de Franz, trompant notre surveillance, est parti pour Bluthaupt, déjà depuis une semaine.
— La lettre est de Gottlieb, répondit Otto, il est revenu habiter, sur mon ordre, le domaine de ses anciens seigneurs… il devait me tenir au courant de ce qui se passe à la fête… sa lettre est longue… plusieurs pièges ont été tendus déjà à notre Gunther, qui n’a pas su les éviter complètement, et qui reste sans défiance… une légère blessure qu’il a reçue est presque guérie… là, n’est pas le péril… Ce qui me fait trembler, c’est la dernière partie de la lettre de Gottlieb… il n’en sait pas assez lui-même pour s’expliquer clairement ; mais il médit avoir surpris quelques mots d’une conversation tenue derrière les fossés de Bluthaupt, entre le chevalier de Reinhold et deux étrangers, inconnus dans le pays.
» Ils parlaient à voix basse, et Gottlieb, caché dans les broussailles qui croissent sur le bord de la douve, ne pouvait saisir que des lambeaux de phrase à la volée.
» Voici ce qu’il a pu comprendre :
» On prépare au château un grand feu d’artifice ; Franz, qu’on entoure de toutes sortes de flatteries, doit être chargé de tenir la mèche.
» Et quelque pièce pointée d’avance… »
Otto n’acheva pas ; un frisson avait secoué les membres d’Albert et de Goëtz.
— Et ce feu d’artifice, murmura le dernier d’une voix haletante, doit avoir lieu ?…
— Demain.
Il y eut un long silence.
Les roues de la chaise de poste se prirent à sauter bruyamment sur l’anguleux pavé de Montmirail.