» Cette femme a deux sœurs, la comtesse Esther, qu’elle a perdue, et une pauvre enfant, à l’âme angélique et bonne, qu’elle a tâché en vain de perdre.
» Cette femme a un mari qui l’aime, et qu’elle tue !
» Elle a une fille, elle, la millionnaire ! une fille qui meurt de faim sous ses yeux !…
» Son dernier amant était un enfant brave et beau, un de ces cœurs choisis, où tout est confiance, audace, amour… Le matin du lundi-gras, cet enfant devait périr sous l’épée d’un spadassin ; elle le savait : et vous l’avez vue, vous, Goëtz, tranquille et séduisante, dans le cabinet du Café Anglais… »
— C’était Franz ?… murmura Albert avec une sorte d’épouvante.
— C’était Franz !… Au lieu de l’épée aveugle d’un enfant, le fer du spadassin rencontra une arme exercée ; il tomba. Le lendemain, cette femme trouva un autre de ses amants, un homme robuste et vaillant, qui a dépensé sa bravoure en folies et qui passe pour dégainer trop volontiers… Albert, le bâtard de Bluthaupt.
— Moi ?… dit Albert étonné.
— Moi, répondit Otto, qu’elle prenait pour vous !
» Et si vous saviez que de séductions entassées, que d’enivrements calculés, que d’amour prodigué, que de flatteries, que de caresses !…
» Elle voulait mettre dans votre main loyale, Albert, le fer brisé du spadassin ; elle voulait que vous poursuivissiez la bataille commencée, et que votre bras, plus sûr, achevât ce que Verdier n’avait pas pu faire… »
La nuit cachait la pâleur mortelle d’Albert ; sa gaieté vive et fanfaronne était bien loin de lui.
Il avait aimé cette femme. Tout à l’heure encore, le souvenir de cette femme avait réveillé en lui de doux souvenirs.
— Et qu’avez-vous fait ? murmura-t-il.
— J’ai promis, répliqua Otto froidement, et Sara vous attend au château de Bluthaupt, Albert.
» Ceci se passait dans votre maison de jeu, Goëtz… Avez-vous remarqué certaine loge grillée ?…
— Pardieu !… le Confessionnal de la princesse !… Navarin n’avait