Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/207

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— Pensez-vous, frère, dit-il, que vous puissiez nous porter tous les deux ?

— J’essaierai, répliqua Goëtz.

— Montez, Albert ! reprit Otto.

Albert obéit.

Goëtz se tenait ferme sur ses jambes ; mais il était trop loin du roc, qui surplombait en cet endroit, pour pouvoir s’y appuyer.

Quand Albert fut monté sur ses épaules, Otto poursuivit :

— Vos mains peuvent-elles atteindre la rampe ?

— J’y touche, répondit Albert, et ce mortier d’enfer est à peine à trois pieds au-dessus de ma tête !… Oh ! si je pouvais ! si je pouvais !…

Il trépignait, oubliant, dans son trouble, que ses pieds reposaient sur les épaules de Goëtz.

— Tenez-vous ferme, dit Otto en s’adressant à ce dernier ; vous, Albert, appuyez-vous à la rampe et ne bougez pas !

Il fit le signe de croix et prononça le nom de sa sœur Margarethe, comme on invoque une sainte, assise aux marches du trône de Dieu.

Le silence régna sur la plate-forme.

Goëtz sentit un poids de plus sur ses épaules endolories ; un instant ses jambes robustes fléchirent ; un instant son cœur cessa de battre.

Il y avait maintenant trois hommes suspendus à plus de cent pieds au-dessus de l’abîme.

Et nulle lueur pour les guider ; et pas un fil pour les soutenir !…

La nuit couvrait le travail prodigieux d’Otto qui montait lentement, la sueur froide aux tempes, le long du corps frissonnant de ses frères.

Goëtz en équilibre au bord du précipice, gémissait sous le fardeau trop lourd, les mains d’Albert, convulsives et crispées grattaient de l’ongle le roc glissant, Otto montait, calme en face de la mort menaçante, et toujours intrépide…