Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/278

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— Je vais m’en aller tout doucement pour te donner le temps de me rejoindre, dit-il. N’oublie pas ton levier ; moi, j’emporte le mien.

Il fit un signe de tête à Jean qui restait couché sur la terre, et disparut dans l’étroit passage.

Il y avait des années que son revêche visage n’avait exprimé tant de bonne humeur. Avec mille écus de rentes on tient une place dans le monde, et Johann venait de se compléter mille écus de rentes.

Pendant qu’il remontait vers le château, Jean restait plongé dans une sorte d’engourdissement. Ses yeux grands ouverts et mornes regardaient fixement le vide ; il ne bougeait pas.

Il ne sentait pas le froid du sol qui roidissait ses membres, n’eût été le souffle pénible qui soulevait à intervalles inégaux sa poitrine oppressée, on l’aurait pu prendre pour un homme mort.

Le temps passait ; au bout d’un quart d’heure, un bruit léger se fit dans le passage par où Johann avait rejoint le sentier de la perrière.

Jean n’entendait pas.

Mais, tout à coup, il se souleva, galvanisé par une terreur soudaine : un doigt venait de toucher son épaule. Il poussa un cri sourd, pensant que l’homme assassiné sortait de terre…

Il glissa un regard épouvanté entre ses paupières demi-closes.

Puis son corps se rejeta en arrière, tandis que ses mains jointes s’appuyaient contre sa poitrine qui haletait.

— Gertraud !… murmura-t-il comme en un rêve, oh ! Dieu me punit… je suis fou !

Gertraud était là près de lui, si pâle et si changée, qu’il croyait être le jouet d’une vision.