Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/523

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— Voilà que tu oublies Georges Treml ! s’écria Didier en souriant. Sur mon honneur ! il y a de la fine fleur de chevalerie dans ces vieux cœurs bretons. Pensons à ton jeune monsieur, mon brave ami. Je ne sais pas ce que tu peux tenter pour son service ; c’est ton secret. Mais j’ai promis de l’aider et je t’aiderai. Descendons ensemble : M. de Vaunoy est un trop soumis et dévoué sujet de Sa Majesté, pour que sa hvrée ose regarder de plus près qu’il ne convient le serviteur d’un capitaine de la maréchaussée.

Jude mit son manteau sur sa figure et descendit, suivi du capitaine.

Alain et Lapierre étaient toujours dans la cour, ils s’inclinèrent avec respect devant Didier, qui toucha négligemment son feutre.

— Qu’on selle le cheval de mon serviteur, dit-il.

Lapierre se hâta d’obéir, le majordome resta.

— Mon camarade, dit-il à Jude, votre maladie exige-t-elle donc que vous ayez toujours le nez dans le manteau ? Les gens de la Tremlays n’ont point pu encore vous souhaiter la bienvenue.

— Que dit-on des Loups dans le pays, maître ? demanda Didier pour éviter à Jude l’embarras de répondre.

— On dit que ce sont de méchantes bêtes, monsieur le capitaine… N’accepterez-vous pas un verre de cidre, mon camarade ?

— Que font les gens de la forêt ? demanda encore Didier.

— Monsieur le capitaine, répondit Alain de mauvaise grâce, ils font du cercle, du charbon et des sabots… Eh bien, mon camarade ! ajouta-t-il en exhibant son vade mecum, c’est-à-dire sa bouteille de fer-blanc, aimez-vous mieux une goutte d’eau-de-vie ?

Maître Alain fut interrompu par Lapierre, qui amenait le cheval de Jude. Celui-ci se mit aussitôt en selle. Dans le mouvement qu’il fit pour cela, son manteau s’écarta quelque peu. Le majordome, qui était aux aguets, put voir une partie de son visage.

— Du diable si je connais autre chose que cette figure-là ! grommela-t-il ; où donc l’ai-je vue ?… Je me fais vieux !…

— Tu me rejoindras ce soir à Rennes, mon garçon, s’écria Didier. En route maintenant et bonne chance !

Jude ne se fit point répéter cet ordre ; il piqua des deux et partit au galop.

Quand il eut franchi la porte de la cour, le capitaine se retourna vers les deux valets de Vaunoy.

— Vous êtes curieux, maître, dit-il à Alain ; c’est un fâcheux défaut et qui ne porte point bonheur. Quant à toi, ajouta-t-il en s’adressant à Lapierre, prends garde !

Il s’éloigna. Les deux valets le suivirent des yeux.

— Prends garde ! répéta ironiquement Lapierre ; que dites-vous de cela, maître Alain ? — Le jeune coq chante haut ; on dirait qu’il se sent de race… Pour ce qui est de prendre garde, c’est toujours un bon conseil.

Didier avait pris, sans savoir, la direction du jardin. Il se trouva bientôt au milieu des hautes charmilles taillées à pic et formant l’inévitable et classique labyrinthe des jardins du XVIIIe siècle. De temps en temps quelques statues de