Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/144

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— Un homme dont il ne faut point répéter le nom sans nécessité dans la demeure de Treml.

— La demeure de Treml ! répéta Goton qui sentit tressauter son cœur à ce nom ; merci, qui que vous soyez. Il y a vingt ans que je n’avais entendu donner son véritable nom à la maison qu’habite Hervé de Vaunoy.

Jude tendit sa main dans l’ombre ; celle de Goton fit la moitié du chemin. Elle n’avait pas besoin de voir. Ce fut comme un salut mystérieux entre ces deux fidèles serviteurs.

— Mais qui donc es-tu, brave cœur, demanda enfin la vieille femme, toi qui te souviens de Treml ?

Jude prononça son nom.

— Jude ! s’écria Goton oubliant toute prudence ; Jude Leker, l’écuyer de notre monsieur ! Oh ! que je te voie, mon homme, que je te voie !

Tremblante et empressée, elle courut à tâtons, cherchant son briquet et ne le trouvant point ; elle remua les cendres de son réchaud. Enfin sa résine s’alluma. Elle regarda Jude longtemps et comme en extase.

— Et lui, dit-elle, M.  Nicolas, le reverrons-nous ?

— Mort, répondit Jude.

Goton se mit à genoux, joignit ses mains et récita un De profundis. De grosses larmes coulaient lentement le long de sa joue ridée. Quiconque l’aurait vue en ce moment se serait senti puissamment attendri, car rien n’émeut comme les larmes qui roulent sur un rude visage, et tel qui passe en souriant devant deux beaux yeux en pleurs pâlit et souffre quand il voit s’humecter la paupière d’un soldat.