Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/18

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L’albinos ne lâcha point la bride et continua :

— Le père de Jean Blanc va bien. Jean Blanc veillait hier auprès de lui ; auprès de lui il veillera demain. Hier tu veillais sur Georges Treml : veilleras-tu sur lui demain, monsieur Nicolas ?

— Que veux-tu dire ?

— C’est une belle chanson que la chanson d’Arthur de Bretagne… Écoute : je sais ramper sous le couvert, tout aussi bien que grimper au faîte des châtaigniers. Je t’ai suivi longtemps dans la forêt ; tu causais avec ta conscience ; j’ai compris, et j’ai chanté la chanson d’Arthur.

— Quoi ! s’écria M. de la Tremlays, tu m’as entendu ? tu sais tout ?

— Non, pas tout. Tu as dit trop de folie pour que j’aie pu comprendre. Mais, crois-moi, ne laisse pas notre petit monsieur Georges à la merci d’un cousin. Si tu veux t’en aller bien loin, prends ton petit-fils en croupe : si tu ne le peux pas, tue-le, mais ne l’abandonne pas. Et maintenant je vais couper des branches pour faire des cercles de barrique, monsieur Nicolas. Que Dieu te bénisse !

L’albinos lâcha la bride et grimpa comme un chat le long du tronc noueux d’un châtaignier. La nuit commençait à tomber. Le costume de cet être bizarre, formé de peaux d’agneaux et blanc comme sa personne, se distinguait à travers les branches qu’il franchissait avec une indescriptible prestesse.

M. de la Tremlays se remit en route, tout pensif.

— C’est un pauvre insensé, se disait-il.