Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/290

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je te conte une histoire ? Qui ne dit mot consent, hé ? retiens-toi de mourir, cela va t’amuser. Un soir, figure-toi, je passais par la forêt de Rennes, j’étais saltimbanque de mon métier et j’avais besoin d’un enfant. Ton pouls a l’air de vouloir s’éteindre : un peu de patience, que diable ! Sur le revers d’un fossé, j’aperçus une jolie petite créature emmaillotée de peau de mouton. Je laissai la peau de mouton, mais j’emportai l’enfant qui faisait justement mon affaire. Une fois à Paris… Aurais-tu dessein de me fausser compagnie ? J’abrège : cet enfant grandit ; le hasard le fit échapper à ma tutelle ; il devint page de M. le comte de Toulouse, puis gentilhomme de sa chambre, puis… À la bonne heure, voici ton pouls qui recommence à battre comme il faut. Puis capitaine de la maréchaussée. Devines-tu ?

Une légère et furtive rougeur monta au visage de Jude, qui néanmoins demeura immobile et garda ses yeux fermés.

— Tu ne devines pas ? reprit Lapierre. Hé bien ! je vais te mettre les points sur les i pour que tu t’en ailles content dans l’autre monde. Cela t’expliquera en même temps pourquoi nous sommes ici de la part d’Hervé de Vaunoy : l’enfant que je trouvai dans la forêt avait nom Georges Treml.

À peine Lapierre avait-il prononcé ce nom qu’il poussa un cri de rage et de douleur.

Un mouvement d’incommensurable joie venait d’emplir le cœur de Jude et galvanisait son agonie. Le bon écuyer, retrouvant vie pour un instant au nom adoré du fils de son maître, avait étreint, par un suprême effort, la gorge du saltimbanque qu’il tenait renversé sous lui.