Page:Féval - Le Loup blanc, 1883.djvu/48

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morale et une mélancolie habituelles. Sa laideur physique et la faiblesse de ses facultés faisaient de lui un être à part ; il le savait, il se sentait inférieur à ses grossiers compagnons, que son intelligence dominait pourtant à ses heures lucides.

Il cachait avec soin cette intelligence, se tenant à l’écart, et affectait d’étranges manies qu’il plaçait comme une barrière entre lui et la foule.

Moitié maniaque, moitié misanthrope, il était tantôt bouffon volontaire, tantôt réellement insensé.

À son père seulement, pauvre vieillard qui s’éteignait dans sa misère, Jean Blanc se montrait sans voile et découvrait les trésors de tendresse filiale qui étaient au fond de son cœur.

Quant à Nicolas Treml, l’albinos avait pour lui un dévouement sans bornes, mais entre eux la distance était trop grande. Jean Blanc, le tailleur de cercles, le malheureux à qui Dieu avait refusé jusqu’à l’apparence humaine, portait en son âme une indomptable fierté. Il se tenait à distance ; il bornait lui-même les bienfaits du châtelain, et n’acceptait que le strict nécessaire. M. de la Tremlays, d’ailleurs, exclusivement occupé de ses idées de résistance aux empiétements de la couronne, ignorait jusqu’à quel point son vieux serviteur Mathieu était dénué de ressources. Il avait dit, une fois pour toutes, à son maître d’hôtel, de ne jamais rien refuser au fils de Mathieu, et se reposait du reste sur cet homme.

Alain, le maître d’hôtel, détestait Jean Blanc et remplissait mal, à son égard, les généreuses intentions de son maître ; mais Jean Blanc n’avait garde de se plaindre. Quand il rencontrait par hasard M. de la Tremlays