Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/115

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Pendant plus d’une heure il resta immobile et muet à la même place. Au bout de ce temps, il prit la bouteille entamée pour se verser un plein verre, mais il ne but point et de grosses lames lui vinrent aux yeux.

« Ce ne sont pas des pistoles que j’ai perdues, dit-il, c’est Éliane, c’est mon fils, c’est mon honneur et mon bonheur !

— Mort de moi ! s’interrompit-il pourtant, révolté contre lui-même ; j’ai été battu par le jeu, ne puis-je être vainqueur par le jeu ? J’ai ici de quoi tenir de belles parties. En cinq coups de dés, je puis regagner mon honneur et mon bonheur ! »

On frappa de nouveau à la porte. Cette fois c’était Renaud de Saint-Venant qui arrivait tout impatient d’avoir des nouvelles de son digne ami, si impatient qu’il n’avait pas pris le temps de dépouiller sa correspondance privée.

Renaud de Saint-Venant tenait en effet à la main un large pli scellé aux armes de Bourbon avec la brisure de Vendôme. Si maître Pol avait été en humeur d’observer, il eût bien reconnu, sur l’adresse, la belle écriture de dom Loysset, aumônier de César-Monsieur.

« Que me dit-on ? s’écria Saint-Venant, toujours frais et rose, toujours affectueux, suave et complète incarnation de ce véritable ami que la Fontaine devait définir quelques années plus tard : « une douce chose ; » que me dit-on, à l’instant ? Vous seriez retourné cette nuit chez Marion la Perchepré ! vous auriez joué de nouveau et de nouveau perdu ? J’aime à croire qu’il ne s’agit point de sommes importantes ; mais comme vous êtes parti de Vendôme à l’improviste, vous pourriez vous trouver dans l’embarras, et quoique je ne sois pas riche, j’accours, afin de mettre ma bourse à votre disposition. Si donc quelques centaines d’écus pouvaient vous être utiles…

— Je vous remercie, Renaud, » l’interrompit Guezevern.

Saint-Venant feignit de se méprendre à ce refus et poussa un cri de joie.

« Que Dieu soit donc béni ! fit-il en joignant les mains. C’était apparemment une fausse alerte. Vous pouvez vous vanter, mon digne ami, de m’avoir donné une rude frayeur. Maintenant que me voilà rassuré, je puis lire ma lettre, si toutefois vous voulez bien m’en accorder la permission.

— Faites, » dit Guezevern avec fatigue.

En rompant le cachet, Saint-Venant glissa un rapide regard vers l’armoire qui restait entr’ouverte. Maître Pol restait immobile et les yeux baissés.

« À la bonne heure ! s’écria Saint-Venant dès qu’il eut parcouru les premières lignes de la missive ducale. Voici du moins des nouvelles qui vont vous remettre en gaieté, mon cher, mon digne ami. Ceci m’arrive, par exprès, du château de Dampierre, où notre maître se porte assez bien ; dieu merci, sauf la colique qui le