tourmente ! Désormais vous ne l’attendrez pas longtemps et vous serez débarrassé aujourd’hui même de ce lourd dépôt qui vous inquiète.
— Ah ! dit Guezevern. Aujourd’hui même ! »
Sa voix était morte, maie un court tressaillement agita tout son corps.
« M. le duc a dû se mettre en chaise aujourd’hui, sur les dix heures du matin : il sera donc en son hôtel de Mercœur vers la tombée de la nuit. Il préfère la chaise à porteurs au carrosse, à cause de… Je suppose que vous m’entendez bien, mon compère ? Et savez-vous comment il parle de votre seigneurie ? « Mon cher intendant, mon brave intendant, le seul intendant honnête homme qu’il y ait eu depuis que le monde est monde ! » Malepeste ! l’épargne de trois cent mille livres lui a été droit au cœur. »
Guezevern était pâle comme un mort et ne répondait point.
« Voulez-vous sortir avec moi pour dîner ? » demanda Saint-Venant.
Guezevern secoua la tête en signe de refus.
« Ou préférez-vous, continua Renaud, que je fasse monter votre repas de l’office. »
Guezevern dit :
« Je n’ai pas faim.
— Seriez-vous malade, mon compère ? interrogea Saint-Venant avec sollicitude. J’espère que c’est seulement la fatigue d’une nuit de plaisir. L’habitude de veiller se perd, mais demain il n’y paraîtra plus.
— Ceci est vrai ; murmura maître Pol avec une amertume profonde ; soyez assuré que demain il n’y paraîtra plus.
— Songez, reprit Saint-Venant, que vous allez avoir un triomphe à l’arrivée de M. le duc. Quoi que vous lui demandiez pour vous, pour Mme Éliane ou pour mon bien aimé fillot Renaud de Guezevern, vous êtes bien sûr de l’obtenir.
— Je vous prie, l’interrompit ici maître Pol, veuillez me laisser, monsieur mon ami, j’ai besoin d’être seul. »
Saint-Venant se leva aussitôt.
« Du moment que je suis importun, mon compère, dit-il, je me retire. Souvenez-vous seulement que je suis à vos ordres du matin au soir et du soir au matin. Quoi que vous désiriez de moi, parlez sans crainte : je vous appartiens à la vie à la mort ! »
Il l’embrassa et sortit.
Maître Pol écouta le bruit de ses pas dans le corridor et pensa tout haut :
« Est-ce là un baiser de Judas ? »
Il ajouta :
« Désormais, que m’importe ? »
Renaud de Saint-Venant descendait les escaliers de l’hôtel de Mercœur en chantant.
Cela ne l’empêchait point de réfléchir. Il se disait :
« Nous allons avoir du nouveau. Un seul homme