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que mon dernier acte obéisse du moins à ma chère Éliane. Elle m’avait mis en garde contre lui, je ne me servirai point de lui. »

Il prit une quatrième feuille de papier, sur laquelle il écrivit :

« Je confie à mon ancien ami et compagnon Mitraille ces deux lettres, avec charge de les remettre fidèlement, l’une à ma femme, l’autre à M. le duc. »

Puis, ayant serré le tout dans une enveloppe, il la scella, et plaça dessus cette mention :

« Quiconque entrera le premier dans cette chambre, devra déposer le présent paquet entre les mains de l’écuyer Mitraille. »

Il respira avec force quand il eut achevé, car, même en présence de la terrible détermination qu’il avait prise, trois lettres à écrire formaient pour lui un rude et repoussant travail ; le fait seul de jeter la plume désormais inutile, le soulagea d’un grand poids.

« C’est le gros de la besogne, se dit-il avec l’équivoque gaieté des désespérés. Le reste me coûtera moins de peine. »

Il nettoya ses hardes de son mieux, les revêtit et ceignit son épée, qu’il regarda d’un œil farouche.

Son regard fit ensuite le tour de la chambre, comme s’il se fût demandé s’il ne laissait derrière lui aucune tâche inachevée.

Sur le point de franchir le seuil, il se ravisa tout à coup, ferma l’armoire et plaça sur la serrure une bande de parchemin qu’il scella aux deux bouts après avoir tracé dessus ces mots :

« Madame Éliane, veuve du défunt intendant, Pol de Guezevern, a seule le droit de rompre ce parchemin. »

Et il sortit sans refermer sa porte, disant à ceux qu’il rencontra dans les corridors de l’hôtel :

« Je vais voir un peu couler l’eau de la Seine. »

La chambre resta solitaire.

Vers cinq heures et demie, si maître Pol eût été encore chez lui, il aurait pu entendre la marche furtive de deux hommes qui allaient dans le corridor en étouffant avec soin le bruit de leurs pas.

« Es-tu sûr de l’avoir bien reconnu ! demanda l’un de ces deux hommes.

— Sûr comme je vous vois, répondit l’autre.

— De quel côté allait-il !

— Du côté de la rivière.

— Bon ! fit la première voix, qui était douce et discrète comme celle du bon écuyer Renaud de Saint-Venant ; le possédé aura été perdre le reste de son argent chez Marion la Perchepré ! »

Les pas s’éloignèrent et un quart d’heure s’écoula.

Au bout de ce temps, les dalles du corridor sonnèrent de nouveau sous la marche d’un homme. Cette fois, on ne parla point. L’homme devait être seul. Il s’arrêta tout contre la porte.

La brune allait tombant, mais il y avait encore assez de jour dans la galerie pour qu’il fût possible de re-