Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/131

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Ses serviteurs, désormais, avaient peine à la suivre.

On ne sait pas d’où sort la foule, à Paris. Quand Mme Éliane arriva à l’autre extrémité du Pont-Neuf, il y avait foule de ces curieux que le premier vent d’une catastrophe assemble en un clin d’œil. Les maisons voisines s’étaient vidées, malgré la crainte qu’on avait des voleurs, et les cabarets du bord de l’eau avaient vomi toute leur clientèle.

Cette foule descendait la berge et courait, avide de voir et de savoir.

Madame Éliane put entendre les renseignements échangés entre gens qui avaient déjà pris leurs informations ou qui devinaient.

Et naturellement ces informations ne concordaient guère.

« C’est un vieillard assassiné ! criait l’un : je l’ai vu.

— C’est une jeune fille-mère, répondait l’autre avec une égale certitude ; je l’ai vue.

— C’est un coupeur de bourse, et voilà qui est bien fait !

— Qu’on se taise, menteurs et badauds ! cria une voix retentissante. J’ai appris la chose de la bouche même des deux petits amoureux. Ah ! les chérubins ! »

Pour le coup la foule se massa en un seul tas compacte. Ces mots : « les deux petits amoureux, » donnèrent à l’aventure une bonne odeur de friandise.

La forte voix reprit :

« L’endroit est bon pour parler d’amour, quand on n’a ni bijoux, ni escarcelle. Les deux mignons n’ont pas peur des voleurs : Jonquille le danseur de cordes et la Fanchonnette qui avale des couteaux. Ils étaient donc là, sous le pont, à se confier leurs secrets, quand patatras ! voici un beau gentilhomme qui tombe tête première.

— Sa femme l’avait trompé, improvisa aussitôt un des auditeurs ; c’est certain !

— Du tout, point, c’était sa maîtresse, pour sûr ! »

Le long du parapet, on criait :

« Holà, ho ! du bateau ! Trouve-t-on le gentilhomme ? »

Il y avait en effet un bateau de sauvetage qui sondait le courant.

« Le gentilhomme a coulé sous les pilotis de la Samaritaine, opina un penseur. Il ne savait pas nager.

— Quand ils ont à sauter le pas, riposta une bourgeoise, ils s’attachent un pavé au cou, à ce qu’on dit.

« Tiens ! tiens ! fit la grosse voix, savez-vous qui est dans le bateau ? c’est don Ramon, le miquelet qui raccole pour la guerre d’Allemagne. Je gage qu’il va repêcher un soldat ! »

Et la foule de rire.

Une voix vint du bateau qui dit :

« Le pauvre diable est noyé ! Dieu ait son âme ! »

Sur le pont, une autre foule bavardait, racontant comme quoi M. le cardinal avait fait lancer par-dessus le parapet un certain cadet de Touraine dont Sa Ma-