Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/140

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gnait il ne reconnut point les deux personnes présentes, et dit avec une bonhomie un peu railleuse :

« Monsieur Guezevern, j’ai voulu venir moi-même vous chercher de la part de M. le duc, afin d’être le premier à voir cette huitième merveille du monde : un intendant honnête homme. »

Éliane avait eu le temps de prononcer tout bas :

« Pas un mot !

Saint-Venant resta muet, pris par un sentiment nouveau : une vive et ardente curiosité.

Pour la première fois, l’idée lui venait que la veuve de maître Pol n’acceptait point son malheur tout entier, et que, du fond de sa détresse, elle allait se relever pour tenter quelque étrange partie.

« M. de Guezevern, répondit Éliane, est ce soir, comme toujours aux ordres de M. le duc. »

Saint-Venant ne put s’empêcher de tressaillir, tant ces paroles mensongères étaient proférées d’une voix nette et calme.

Il pensa une fois encore, la poitrine serrée par toute son épouvante revenue :

« Si elle s’était jouée de moi ! si maître Pol vivait !

— M. l’intendant de Guezevern n’est-il point ici, madame ? demanda le majordome qui reconnut Éliane et la salua.

— Je suis chargée, répliqua la jeune femme évasivement, de rendre les sommes épargnées par mon mari entre les mains de M. le duc, et je vais m’acquitter de ce devoir.

— Sur ma foi, s’écria gaiement Barbedieu en prenant congé, c’est à peine si l’on peut dire que M. le duc tienne plus à l’épargne qu’à l’intendant, tant il est coiffé de notre ami Guezevern ! »

Quand le majordome fut parti, Renaud dit :

« Madame la comtesse a oublié dans son trouble qu’il manque cent cinq mille livres.

— Je n’ai rien oublié, répartit Éliane, et rien ne manquera. Allez me quérir, s’il vous plaît, les deux serviteurs qui m’ont fait escorte dans mon voyage. »

Saint-Venant obéit aussitôt.

Comme il allait passer le seuil, Éliane ajouta :

« Je combats pour le fils que Dieu m’a donné et pour l’enfant que Dieu me donnera. Pour la seconde fois, je vais être mère. Puisque vous avez pénétré mon secret, vous savez que l’héritage de M. de Pardaillan ne leur appartient pas seulement du chef de leur père, mais de mon chef à moi, fille unique et légitime de celui que je nommais mon oncle. Si vous êtes avec moi, vous serez un riche gentilhomme, monsieur de Saint-Venant ; si vous êtes contre moi…

— À quoi bon les menaces ? l’interrompit Renaud. Je suis avec vous, je suis à vous. »

Il parlait vrai en ce moment. La fortune le servait bien au delà de ses espérances. Cette femme, qui adorait son mari et qui le soupçonnait, lui Saint-Venant,