Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/141

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d’avoir causé la mort de son mari, cette femme qu’il venait d’outrager, tacitement, mais cruellement, en arrivait du premier coup à se servir de lui et à le prendre pour complice.

La femme qu’il aimait quand elle était pauvre, et qui avait maintenant des millions !

Je ne saurais dire cependant pourquoi un vent glacé soufflait sur son enthousiasme, tandis qu’il allait, le long des corridors de l’hôtel de Mercœur pour exécuter les ordres de Mme Éliane.

Dans ces interminables galeries où régnait l’obscurité, il revoyait la morne et grave physionomie de la jeune femme qui naguère savait si bien sourire, et il avait vaguement frayeur.

De loin, cette tranquillité lui semblait terrible.

Éliane, restée seule, se laissa tomber sur ses deux genoux et couvrit son visage de ses mains.

De grosses larmes roulèrent lentement sur ses joues ; d’amers sanglots déchirèrent sa poitrine ; la digue qu’elle avait si longtemps opposée à son désespoir était rompue et son désespoir débordait.

Ce fut une crise poignante, mais courte.

Lorsque Renaud de Saint-Venant rentra, suivi des deux serviteurs, il trouva Éliane debout, au milieu de la chambre, pâle, défaite, changée comme si, en ce bref espace de temps elle eût subi les angoisses d’une longue maladie. Elle portait haut la tête, pourtant, et, ses yeux secs ne gardaient point la trace de ses pleurs.

Elle avait repris son costume de voyage.

Sur son ordre, trois corbeilles furent disposées ; on compta dans chacune des deux premières quatre mille cent soixante-six louis de vingt-quatre livres. Pour ce faire, il fallut emprunter déjà aux valises apportées du château de Pardaillan par Mme Éliane deux cent huit pièces d’or. La troisième corbeille fut remplie entièrement au moyen du contenu de ces mêmes valises. Nous avons vu qu’elles étaient lourdes.

Renaud de Saint-Venant regardait faire. Malgré l’énorme somme empruntée ainsi aux bagages de Mme Éliane, Renaud de Saint-Venant put voir que les sacs de cuir gardaient une rotondité respectable.

« Suivez-moi, » dit la jeune femme en indiquant d’un geste que chacun de ses compagnons devait prendre une des corbeilles.

Renaud de Saint-Venant se chargea comme les autres. Éliane ouvrit la marche, tenant le flambeau à la main.

César de Vendôme était dans sa chambre à coucher, en compagnie de dom Loysset, son chapelain secrétaire, et de maître Phaidon de Barbedieu, son majordome.

« Ventre saint gris, s’écria-t-il en voyant entrer Mme Éliane, précédant les trois paniers remplis d’or, je sais bien à qui nous allons tailler des croupières avec cela ! Tête-de-bœuf, mon ami, a-t-il la colique qu’il ne s’est point rendu lui-même à son devoir ?

— Monseigneur, répondit Éliane, au grand étonne-