Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. de Vendôme, frappé par les paroles de la jeune femme et son accent, demanda :

« Serait-il arrivé malheur à mon ami Guezevern ?

« Mais, non, se reprit-il ; vous avez dit tout à l’heure qu’il se portait à merveille. »

Éliane se redressa.

« Monseigneur, dit-elle, il lui est arrivé bonheur. Mon bien-aimé mari, en partant, ce soir, pour régler d’importantes affaires à son château de Pardaillan…

— Hein ? » fit le duc étonné.

Saint-Venant respira. L’eau se troublait. À dater de cet instant précis, il se sentait nécessaire.

« À son château de Pardaillan, répéta Éliane. En me quittant, dis-je, ce soir, mon mari m’a donné mission de régler ses comptes d’intendance avec Votre Altesse. »

César de Vendôme dit pour la seconde fois :

« Son château de Pardaillan ! »

Les autres ouvraient de grands yeux.

Éliane continua :

« Et de résigner entre vos mains l’emploi d’intendant qu’il tient de votre gracieuse confiance. »

Malgré sa colique, César-Monsieur devint rouge comme une pivoine.

« Ventre-saint-gris, gronda-t-il, en voici bien d’un autre ! Où diable Tête-de-bœuf croit-il que je vais trouver un second intendant honnête homme ? Et vous qui parlez, ma mie, avez-vous l’âme si ingrate ? Ne vous souvenez-vous plus que je vous ai portée à la gredindaine, moi, fils de France, une nuit où j’étais bien incommodé ? Je ne sais plus ce qui vous était arrivé, mais vous n’étiez pas si brave qu’à cette heure, madame ! ce fut là, je pense, que ce Breton bretonnant devint amoureux de vous ! Et votre mariage ? c’est moi qui vous ai mariés, un autre soir où j’étais encore bien empêché. Et n’est-ce point surprenant que cette incommodité me tourmente depuis si longtemps ? Monsieur le cardinal en fait des gorges chaudes, mais, par la vraie-croix ! rira bien qui rira le dernier ! J’y songe ! Je fais une gageure ; c’est le diable rouge qui me joue encore ce tour-là !

Éliane voulut protester, mais M. le duc lui ferma la bouche rudement et continua avec une indignation croissante :

— Tête et sang ! vous êtes une effrontée, ma mignonne ! On dit que vous menez cet innocent de Bas-Breton par le bout du nez, et qu’il ne jure plus, et qu’il ne boit plus, et qu’il a le fouet au logis quand il lui arrive de remuer les dés ou de toucher les cartes ! Savez-vous ce qui arrive ? Vous m’avez donné un accès de mon mal ! Et de quel droit une caillette comme vous trouble-t-elle la digestion d’un prince tel que moi ? C’est le monde renversé, ou que je sois puni de mort subite ! En quel temps vivons-nous, par la sambregoy ! n’est-ce plus le seigneur qui chasse son intendant ? Est-ce l’intendant qui congédie son seigneur ? Mort et passion !