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XIX

LE PAIN SAINT-ANTOINE.


C’était le temps des aventures. La chevalerie était morte, mais la manie d’errer ne se perdait point. Les épées voyageaient à travers le monde comme autrefois les lances, seulement au lieu de ferrailler gratis et pour l’honneur, elles se faisaient payer du mieux qu’elles pouvaient.

Les armées européennes se recrutaient alors presque entièrement à l’aide d’un innombrable troupeau de mercenaires qui n’avaient, à proprement parler, ni foyer ni patrie. Ils étaient soldats comme on fait un métier ; ils changeaient de drapeau sans répugnance ni scrupule au gré de leur intérêt ou de leur caprice, défendant aujourd’hui ceux qu’ils attaquaient la veille.

À lire les pages trop peu nombreuses qui traitent familièrement l’histoire de ces époques déjà reculées, mais appartenant néanmoins à notre ère moderne par le réveil des idées et les premières tentatives de résistance bourgeoise contre la cour, on est frappé d’un étonnement qui va jusqu’au trouble. La confusion est partout. Les luttes politiques s’embrouillent comme ces chevelures de mendiants espagnols que la dent d’un peigne ne sut jamais démêler, les passions s’entrecroisent, les intérêts se déplacent, chaque faction est faite de mille coteries n’ayant entre elles ni lien réel, ni sérieuse cohésion. Les guerres civiles vont au hasard, bavardant, ricanant, négociant, trahissant, et les guerres étrangères se promènent avec une interminable lenteur, attardées à quelque siège pédant ou dépensant de lointaines canonnades.

Ceci soit dit à l’exception de la grande bataille de trente ans qui se livrait en Allemagne et où la religion mettait du feu dans les veines des combattants.

Mais ce qui surprend principalement, c’est l’absence presque complète de nationalités. Les noms des généraux trompent, il est besoin de regarder leur cocarde. On dirait, en vérité, que chez cet agent, si vif sous nos premiers rois, si puissant aujourd’hui, l’esprit patriotique sommeillait, engourdi par l’égoïsme et la corruption.

Nos cadres militaires regorgeaient d’Allemands, d’Italiens, d’Espagnols, sans compter les soldats ap-