Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous pensez bien que je ne me suis jamais trouvée à pareille fête. On me parle d’amour ici, la bouche ouverte, et cela ne me scandalise pas trop, parce que… parce que… Ma foi, en définitive, je serais bien embarrassée de dire pourquoi !

— Je suis une moitié de capucine, et, dans ma jeunesse, j’aurais cru offenser Dieu en faisant ce que vous faites ; l’autre moitié de moi ne vaut rien, puisque je n’ai jamais eu le courage de prononcer mes vœux. Vous êtes deux bons petits cœurs, et jolis comme des anges. Ta joue reste toute rouge, mon pauvre neveu ; est-ce que j’ai frappé bien fort ? C’est certain que vous feriez un mignon ménage. Mais, où mettrais-tu ta femme, Pol, mon ami ? dans ta chambrette de page ? Et toi, Éliane… embrasse-moi encore, fillette… avec quoi nourrirais-tu les petits enfants qui viendraient ?

« Jésus ! Jésus ! s’interrompit-elle en rougissant abondamment, et en se signant. De quoi vais-je m’occuper ! donne-moi un doigt de vin, mon neveu. Il est bien sûr qu’Éliane, mariée, ne pourrait plus demeurer chez moi. Ne pouviez-vous attendre seulement les neuf années ? »

Elle souriait en faisant cette question inutile.

Elle sourit encore en ajoutant :

« Allez ! neuf ans sont bientôt passés ! »

Voyant la tournure que prenait l’entretien, nos deux amoureux croyaient cependant avoir cause gagnée. Ils écoutaient déjà dans leur rêve le carillon des cloches de l’église neuve des Capucines sonnant à toute volée pour leur mariage.

Quand la bonne dame Honorée eut bu son doigt de vin de Sicile, elle se prit à réfléchir. Éliane et maître Pol avaient beau la caresser désormais, elle ne parlait plus.

« Voilà ! dit-elle tout à coup ; le mieux est d’aller à la guerre, mon neveu de Guezevern, et toi, petite, tu entreras au couvent.

— Mort de moi ! s’écria maître Pol indigné, est-ce que vous vous moquez de nous, madame ma tante ? Je suis d’âge à nourrir ma femme, et je le montrerai bien ! D’ailleurs, je ne suis pas un mendiant, peut-être : l’héritage de M. le comte de Pardaillan peut m’arriver un jour ou l’autre. »

Dame Honorée le regarda tristement.

« En es-tu à souhaiter la mort de tant de chrétiens ? murmura-t-elle ; sois donc aujourd’hui content. Roger de Pardaillan Guezevern, ton cousin et mon neveu, est mort à l’armée de Flandres. Il ne reste plus que sept jeunes hommes bien portants, y compris tes trois frères aînés, entre toi et la fortune du comte.

— Je suis bien sûre, marraine, dit Éliane d’un air offensé, que Pol de Guezevern ne souhaite la mort de personne. Il n’a pas besoin de cela. Voilà qu’il est un homme, il a promis de se corriger. Je suis prête à partager avec lui la bonne comme la mauvaise fortune. »

Par-dessus les genoux de dame Honorée, le page sai-