Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/38

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tinuer vos fourberies, mais encore je m’engage à vous laisser passer dans les cours de l’hôtel et dans la rue sans vous tirer l’oreille, longue comme la langue d’un chien qui a soif. À ceci, je ne mets qu’une restriction, c’est que vous marcherez droit, monsieur le second écuyer. Si je vous rencontrais encore en travers de mon chemin, je vous jure que je vous tordrais le cou sans pitié. »

Ayant prononcé ce discours, maître Pol mit la bourse dans sa poche, et prit congé.

L’argent de la bourse fut très à l’aise dans sa poche, qui, avant cela, ne contenait rien du tout.

Dès qu’il fut parti, Renaud de Saint-Venant se releva, reprit son épée et la mit au fourreau.

Il s’assit sur le pied de son lit.

Au bout de trois minutes de méditation, il se leva souriant, brossa son pourpoint, que sa chute avait légèrement gâté, et boucla ses cheveux devant son miroir.

« Nous verrons, pensa-t-il tout haut, quand elle sera sa femme. »

Maître Pol avait déjà quitté l’hôtel de Mercœur et remontait à grands pas la rue Saint-Honoré en se dirigeant vers le cimetière des Innocents. Il est constaté que l’invasion des mœurs italiennes avait poussé, à Paris, le débit des drogues à des proportions extravagantes, sous les reines Médicis. La rue des Lombards tout entière, la rue Aubry-le-Boucher et leur trait d’union, la ruelle des Cinq-Diamants, étaient pleines d’officines, où alambics, cornues et réfrigérants fonctionnaient du matin au soir.

Mathieu Barnabi, un peu Italien, davantage Israélite, mais au trois quarts Arabe, au dire de ses ennemis, et tout à fait païen, avait la troisième boutique en entrant par le marché des Innocents, et son enseigne, ornée d’un mortier d’or, annonçait aux passants que Marie de Médicis, la reine mère, l’honorait de sa confiance.

Il partageait du reste ce privilège avec un grand nombre de fabricants de mort-aux-rats : la reine-mère faisant, comme son illustre devancière Catherine, une prodigieuse consommation de panacées.

Outre les médicaments grossiers, guérissant les maladies ordinaires, Mathieu Barnabi vendait des breuvages qui rendaient la jeunesse aux vieillards, des élixirs de beauté et des philtres d’amour. Il avait également dans sa boutique une certaine eau très-puissante qui, répandue matin et soir sur la tête d’une figure de cire, représentant le premier venu, lui donnait la fièvre tierce à distance et le faisait mourir lentement d’une maladie de langueur.

Peu d’hommes, à Paris, pouvaient se vanter d’avoir une clientèle comme celle de Mathieu Barnabi, premier élève, comme il s’intitulait lui-même, du grand Florentin Cosme Ruggieri, mort quelques années auparavant en odeur de diablerie. La cour et la ville s’em-