Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/39

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poisonnaient chez lui. Il va sans dire qu’il était un peu sorcier avec cela, et que les héritages, annoncés par lui, arrivaient toujours quand on achetait de sa poudre.

Maître Pol le trouva dans son sanctuaire, vêtu d’une longue robe de velours noir, lamée d’argent, et entouré d’un muet cénacle d’oiseaux empaillés. Comme c’était le matin, la foule noble n’assiégeait point encore sa porte ; il donnait des consultations bourgeoises.

Le sanctuaire de Mathieu Barnabi était une salle assez vaste, éclairée par une seule fenêtre ogive qui avait des vitraux de cathédrale. Une mise en scène savante l’avait encombrée d’objets disparates et bizarres : énormes manuscrits hébreux ou arabes, ouverts sur des pupitres ; vases aux formes monstrueuses, pleins de divers liquides dont l’odeur montait au cerveau ; bocaux de verre où l’alcool conservait des salamandres, des dragons et des serpents ; cornues, matras, alambics, squelettes d’animaux et d’hommes ; bref, tout le mobilier industriel du charlatan qui veut frapper les imaginations grossières.

Parmi ces bric-à-bracs inanimés, il y avait un meuble vivant. Non loin du fauteuil où Mathieu Barnabi s’asseyait, le nez chargé de rondes lunettes, et déchiffrant un bouquin oriental, un grand loup noir, vautré dans la poussière, secouait de temps en temps la chaîne qui le retenait captif.

Quand maître Pol franchit le seuil de ce tabernacle, Mathieu Barnabi, au lieu de tourner les yeux vers lui, regarda attentivement un globe de verre qui contenait une liqueur teinte d’un vif azur et d’une extraordinaire limpidité.

Le loup noir se mit sur ses quatre pattes.

Et au moyen d’un procédé fort adroit, les oiseaux empaillés, suspendus à la voûte, virèrent sur leurs fils, entre-choquant avec bruit les plumes desséchées de leurs ailes.

Maître Barnabi prononça deux mots d’un langage inconnu. Le loup noir se recoucha, les oiseaux empaillés reprirent l’immobilité.

« Maître, commença le page, non sans une certaine émotion, je viens vous trouver…

— Je sais pourquoi tu viens, mon fils, l’interrompit le drogueur avec majesté. Je te connais comme je connais toutes créatures humaines ; je connais ta secrète ambition comme je connais toutes choses sous le ciel. »

Le page hésita entre la vague frayeur qui essayait de le prendre et sa native effronterie.

« Mort de moi ! s’écria-t-il, ou m’avait bien dit que vous étiez une moitié de démon ! Si vous savez ce qui m’amène, servez-moi vite, maître Mathieu, car je suis pressé. »

Il faut confesser ici qu’avant d’entrer, le page avait dû décliner son nom à la porte de la rue. Ceci, aux yeux du lecteur, pourra diminuer d’autant le miracle ; mais, en définitive, le nom de Guezevern, obscur serviteur du bâtard de Bourbon, ne racontait point ses