Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/42

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succession ? Sais-tu une chose ? On rachèterait bien des gros péchés en te tuant comme un chien galeux au fond de ta niche. »

Mathieu Barnabi referma son livre lentement.

« J’ai voulu vous éprouver, mon fils, dit-il. N’élevez point la voix, croyez-moi. La vôtre doit, être modeste. Si vous aviez à l’heure qu’il est la succession de votre oncle, M. le comte de Pardaillan, vous pourriez parler haut dans ma pauvre maison. Mais vous ne possédez ni sou ni maille, mon fils, et dès que je le voudrai, je vous ferai jeter dehors par mes valets, grâce à la protection que veut bien m’accorder madame la reine mère.

— Si la reine mère savait le métier que tu fais…, commença maître Pol.

— Jeune homme, interrompit Barnabi, si vous aviez accepté mes offres, vous seriez à présenté la prison du Châtelet. Nous vivons dans un temps mauvais, et j’ai déjà prévenu bien des crimes. Assez de paroles entre nous. Venez-vous pour un horoscope ?

— Je viens tout uniment, répondit le page, pour vous acheter un remède contre la colique. »

Mathieu Barnabi sourit et dit en lui tendant la main d’un air paterne :

« Enfant, je le savais. La preuve, c’est que votre remède est tout préparé, dans cette fiole que vous voyez ici sur la troisième tablette, marquée de la lettre D (dispepsia), qui est le nom latin de la colique »

Maître Pol regarda la fiole du coin de l’œil.

« Ah ! ah ! fit-il. D’avance ! vous connaissez donc le malade ?

— Mon fils, prononça le drogueur avec emphase, bien avisé serait celui qui trouverait l’homme ou la chose que je ne connais point ici bas. »

Quoi qu’il en eût, le page subissait dans une certaine mesure l’effet de ce charlatanisme. Voilà pourquoi le commerce des marchands de chimères est si bon : c’est qu’on a beau se moquer d’eux, on prend de leurs almanachs.

Il ne faudrait point croire, d’ailleurs, que le page se moquât franchement de Mathieu Barnabi. Il n’eût pas été de son temps. Tout au plus avait-il défiance.

« Bonhomme, dit-il, si vous connaissez le malade, vous devez savoir qu’il est de ceux avec qui on ne plaisante pas.

— Jamais je ne plaisante avec ceux qui souffrent, répliqua noblement le drogueur. Un prince souverain sur son trône est pour moi l’égal du plus pauvre mendiant.

— Combien coûte le remède ? » demanda maître Pol, qui avait marché vers la tablette et mettait la main sur la fiole.

Le loup noir s’élança d’un bond si violent, que sa chaîne faillit l’étrangler ; les oiseaux tournèrent follement, les reptiles s’agitèrent dans les bocaux d’alcool, et une voix qui semblait sortir de la voûte commanda :

« Noli tangere ! »