Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/41

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Mathieu Barnabi se tourna lentement vers maître Pol et l’examina d’un œil sévère.

« Vous êtes tous pressés ! » murmura-t-il.

Puis, feuilletant avec solennité le manuscrit ouvert devant lui, il ajouta :

« Penses-tu que l’homme puisse diriger à son gré les ciseaux de la Parque ? Il y a trop d’existences, mon fils, entre toi et la fortune à venir. »

Maître Pol ouvrit de grands yeux.

« Les profanes s’étonnent toujours, poursuivit Mathieu Barnabi, quand nous lisons à voix haute le livre de leurs secrètes pensées. Ils entendent ainsi avec surprise le plus souvent, et parfois avec frayeur la voix de leur conscience qui n’avait pas osé parler distinctement.

— Sainte croix ! grommela le page, quel diable de grimoire raconte ce bonhomme ?

— Là-bas, dans les halliers de Basse-Bretagne, continua imperturbablement le sorcier, tu étais un enfant simple et craignant Dieu. Tu es venu à Paris, Pol de Guezevern, et tu as pris bien vite les mœurs du prince dissolu que tu sers. La soif de l’or est née en toi, depuis que l’amour s’est allumé dans ton cœur…

— Bonhomme, interrompit maître Pol stupéfait, avez-vous des yeux qui voient à travers la poitrine ?

— Les yeux de la science, mon fils, répliqua Barnabi d’un ton paisible, perceraient des murailles d’acier. »

Car ils prenaient déjà ce pauvre noble mot « la science » pour le mettre à toute sauce.

« Grâce aux yeux de la science, poursuivit Barnabi, je vois au travers de vous comme si vous étiez de verre. Faisons le compte des obstacles qui sont entre vous et l’objet de vos désirs. J’aperçois sept personnes vivantes et bien portantes.

— Entre moi et Éliane ! s’écria le page.

— Entre vous, mon fils, et la fortune du comte Pardaillan-Pardaillan, votre oncle à la mode de Bretagne. C’est cette fortune qui vous donnera Éliane. Nous avons d’abord M. le vicomte de Pardaillan, un jeune homme, puis les deux fils d’Éléonore-Amélie de Montespan, qui sont à l’armée, puis madame de Guezevern-Pardaillan et son fils, puis M. le baron de Gondrin-Montespan, qui est sur la même ligne que vous.

— Foi de Dieu, jura maître Pol, je sais tout cela aussi bien que vous, bonhomme.

— Et vous ne reculez pas devant le nombre des victimes ? demanda le drogueur.

— Hein ? fit maître Pol qui dressa l’oreille. Les victimes !…

— Parmi lesquelles, ajouta Barnabé avec onction, se trouvent naturellement vos trois frères aînés.

— Mort de mes os ! gronda le page qui fronça le sourcil, à quel jeu jouons-nous, vieux suppôt de Satan ! J’ai fait de mon mieux pour ne pas comprendre… c’est donc vrai, à la fin, ce qu’on raconte des poudres de