Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/45

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der, à jurer, à boire ; mais quand ce n’était pas lui qui faisait les petites affaires de M. de Vendôme, M. de Vendôme était bien malheureux.

« Ventre-saint-gris ! promit-il du meilleur de son cœur, quand Tête-de-Bœuf va revenir, je le renverrai comme un chien errant, à coups de fouet. Mais, non ! il serait trop content de vaguer en liberté par la ville. Je l’attacherai à un arbre de mes propres mains, et je lui compterai cent étrivières.

— Est-ce monsieur mon frère qui parle de compter jusqu’à cent ? dit une belle et sonore voix dans l’antichambre. Miracle !

— Il ne nous manquait plus que cela ! gémit César de Vendôme. Voici M. le grand prieur qui vient nous débiter un sermon, ventre-saint-gris ! Coquin de Mitraille, dis-lui que j’ai la colique et ne puis recevoir. »

Le pauvre laquais qui portait ce joli nom de Mitraille, et qui jouera dans notre drame un recommandable rôle, n’eut pas même le temps de se retourner pour exécuter l’ordre de son maître.

« Bonjour, César-Monsieur, » dit la voix mâle au seuil de la porte.

Et un homme de haute taille bien campé sur des jambes solides, fit son entrée d’un air calme, mais plein d’autorité. Il était plus jeune que le duc de Vendôme, son frère, et ressemblait comme lui au feu roi. Comme lui aussi, il paraissait plus que son âge.

« César-Monsieur » était le titre officiel que l’aîné des fils de Gabrielle d’Estrées avait reçu au jour de sa naissance.

Alexandre de Bourbon-Vendôme, grand prieur de France, portait le costume de l’ordre de Malte et sa grande épée, bouclée haut, tombait droit le long de sa dalmatique. Il tendit la main à son frère qui lui rendit un sourire presque soumis en balbutiant à son insu :

« Vîtes-vous jamais colique si obstinée que la mienne, Alexandre ?

— Jamais, répondit le grand prieur. Faites-nous, je vous prie, servir à déjeuner. J’arrive à cheval du prieuré neuf, là-bas, de l’autre côté de la porte du Temple, et l’air du matin m’a donné bel appétit.

— Que je voudrais être comme vous, monsieur mon frère ! soupira César. Le magnanime estomac que vous avez !

— Vertujeu ! monsieur, menez comme moi sage vie, repartit le prieur avec une pointe d’ironie fort décemment émoussée, et vous vous en trouverez bien, soyez assuré de cela. »

Le duc haussa les épaules d’un air chagrin, et dit en poussant un fauteuil de mauvaise grâce :

« Sage vie ! sage vie ! ce n’est pas ce que rapporte de vous M. de Luçon ! »

Le grand prieur s’assit.

« On va faire de M. de Luçon un cardinal, répliqua-t-il tout en se débarrassant de sa grande épée : M. le