Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/47

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Henri notre père avait aussi la colique, dit l’histoire, mais il s’en guérissait bellement à force de boire et de battre ! »

César remplit son verre à moitié.

« C’était un vert-galant ! murmura-t-il. Et puis, il était le roi.

— C’était un diable-à-quatre, monsieur mon frère. Il était le roi, parce qu’il avait voulu être le roi. À votre santé ! »

César de Vendôme but languissamment.

« Donc, poursuivit le grand prieur, pour en revenir à M. de Richelieu, qui a, dit-on, déjà le chapeau dans un coin de son armoire, vous n’avez qu’à vous bien tenir. M. de Luynes, le dernier favori, ne vous aimait pas beaucoup : mais c’était un bonhomme qui cherchait à ramener les gens par la douceur. Il vous eût donné, vraiment, la grande amirauté pour une accolade : étant bien entendu que vous n’auriez point essayé de troubler le bon ménage qu’il faisait avec le roi Louis, notre frère. Il s’était, une fois, expliqué à ce sujet avec M. de Bassompierre, vous savez, comme un honnête mari raisonne le galant de sa femme. Voyons ! sarpejeu ! une pleine coupe et une bonne tranche, César-Monsieur ! Il faut mener votre estomac comme M. de Richelieu nous mène : rondement et haut la main, ou que le diable nous emporte ! »

Ce disant, il poussa vers son frère une assiette, chargée d’une vaste rouelle de venaison. Le verre de César avait été déjà empli et vidé une couple de fois. Comme toujours, l’appétit lui venait en buvant. Il soupira, mais il mangea.

« Souvenez-vous de la bonne passe où nous étions, voici deux ans, à pareille époque, reprit le prieur Alexandre, quand commença la guerre d’Angers. La reine-mère était pour nous, M. de Longueville tenait la Normandie ; nous deux, nous avions la Bretagne, notre bonne Bretagne, où nous retournerons, Dieu sait quand. M. de Soissons nous donnait le Perche et le Maine, Bois-Dauphin le Poitou, Épernon la Guyenne, Retz l’Angoumois, M. de la Trémoille la Saintonge, M. de Mayenne le Béarn, M. de Rohan la Rochelle. Et je ne dis pas tout. M. de Montmorency restait neutre en Languedoc. Nous n’avions contre nous que M. le Prince, avec Nevers, Guise et ce vieux mignon de Schomberg. La partie était gagnée d’avance. Qui nous a vendus ? M. de Richelieu. Quel fut le prix de la vente ? Ce même chapeau de cardinal qu’on verra bientôt porté aussi haut, et plus haut que la couronne du roi de France ! »

César-Monsieur s’arrêta de manger pour bâiller. Le prieur Alexandre lui versa un plein verre.

« Maintenant, continua-t-il, Monsieur le duc de Luynes est mort, écrasé par toutes les charges nobles du royaume qu’il s’était mises sur la tête. Il n’y a plus de premier ministre, mais il y a un homme. La reine-mère, qui est une femme habile, mais une femme, pousse