Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/60

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Elle devint toute pâle, et si vous saviez comme la pâleur la faisait adorablement jolie, lorsque maître Pol lui avoua que César de Vendôme avait bu d’un trait le restant de la fiole.

« Il doit être empoisonné, murmura-t-elle.

— Il se porte comme un charme, riposta le page ; mais je n’ose en vérité, vous raconter le surplus de l’histoire.

— Racontez toujours, » dit Éliane dont le sourire espiègle pétillait.

Et je ne puis vous cacher que maître Pol avait le vertige, en songeant que, si la fantaisie de M. le duc se réalisait cette nuit-là même, dans quelques heures…

On aurait le vertige à moins que cela !

« Puisque vous avez blâmé ce qui était sage, Éliane, murmura-t-il, qu’allez-vous donc dire de cette absurde folie ?

— Voyons seulement l’absurde folie, fit la jeune fille.

— Eh bien ! Éliane, M. le duc veut que nous soyons mariés ce soir.

— Bah ! fit encore Éliane qui ne perdit pas son délicieux sourire. C’est court de délai.

— Voilà tout ce que vous objectez ! s’écria maître Pol.

— L’Évangile est formel, murmura Éliane : il faut rendre à César ce qui appartient à César.

— Je mourrai fou à force de vous adorer, Éliane ! déclara le page.

— Après ? interrogea la fillette.

— Ah ! c’est là l’insensé, ma pauvre Éliane ! l’impossible ! l’extravagant !

— Voyons l’extravagant.

— Savez-vous quels sont les gages de l’intendant de M. de Vendôme ?

— Non, je ne le sais pas.

— Je vais vous le dire, Éliane. »

Et maître Pol, comptant sur ses doigts, énuméra tous les revenant-bons qui faisaient de l’homme d’affaires de Vendôme un personnage d’importance.

Éliane S’écouta fort attentivement et dit :

« Eh bien ! »

Alors maître Pol, commençant une autre énumération, détailla les divers devoirs de cette charge si bien payée.

Éliane répéta :

« Eh bien !

— Eh bien ! dit maître Pol, M. de Vendôme s’est mis en tête de me nommer son intendant.

— Acceptez, dit Éliane sans hésiter.

— C’est que… en fait d’arithmétique, je sais juste que deux et deux font quatre, murmura le page en souriant.

— Acceptez, répéta sérieusement Éliane.

— Comment, accepter !…

— Et tout de suite.

— Mais qui fera les additions, cher cœur, les soustractions, les multiplications ?