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tation de mauvais sujet, même dans la maison de M. de Vendôme.

Il était, Dieu merci, en ce temps-là, tout ce qu’on peut être, quand on marche dans le sentier de la perdition : joueur, querelleur, buveur et coureur de scandaleuses aventures.

Nous avons grande joie à constater que maître Pol s’était bien corrigé depuis son mariage. Il ne buvait plus sinon comme un joyeux gentilhomme campagnard à la table de famille ; il ne tirait plus l’épée, n’ayant point occasion de se quereller ; il ne jouait jamais et restait fidèle à sa femme qu’il adorait du meilleur de son cœur.

Mais il s’ennuyait.

Éliane qui était fée, aurait, en vérité, voulu voir maître Pol un peu moins sage, pour être plus sûre de le garder toujours.

Car il y a des réveils soudains, et ces léthargies du diable endormi au fond d’un bénitier, finissent par de terribles cabrioles.

Éliane, la chère créature, faisait de son mieux pour guérir cet ennui.

Elle s’était arrangée dans le grand vieux château de Vendôme un nid délicieux, un vrai nid d’amour. Sa table, connue à dix lieues à la ronde, était modeste, mais d’une délicatesse proverbiale ; elle variait ses toilettes avec un goût exquis, et ne croyez point que ces mots soient un anachronisme. Il y avait alors une chose qui s’appelait la parure, et une autre chose qui avait nom le goût. Nous n’avons pas tout inventé depuis hier.

Éliane savait que la solitude engendre la tristesse ; sa maison était hospitalière entre toutes. Elle faisait à ses convives si charmant visage que l’heureux Guezevern ne savait parfois où mettre ses amis. Tous étaient bien reçus, tous, jusqu’à Renaud de Saint-Venant, qu’Éliane n’aimait point.

Il en coûte cher pour héberger ainsi beaucoup de bons compagnons, mais faut-il vous le répéter cent fois ? Éliane était fée. Elle avait cette prestigieuse économie qui n’exclut nullement la générosité, et qui multiplie les pièces d’or comme le miracle des noces de Cana multiplia les pains et les poissons. Maître Pol n’avait jamais à se préoccuper de la dépense. On eût dit que la bourse commune était inépuisable.

Et chaque fois qu’il partait pour quelque voyage, Éliane glissait quelques larges doublons dans son escarcelle, mentionnant expressément que c’était « pour ses plaisirs. »

Vous pensez peut-être, habitués que vous êtes à nos mœurs, et connaissant par hasard la femme de quelque homme d’affaires de notre siècle éclairé, qu’Éliane n’avait pas besoin d’être une bien grande sorcière. L’argent colle aux mains. Ceci est un proverbe. Quiconque manie beaucoup d’argent… Voyez votre voisin du premier où le ménage d’en face. On sait à quel