Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/70

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avec les Vendôme et ceux de leur parti. En outre, elle avait un commerce de correspondance avec le vieux comte de Pardaillan-Pardaillan, l’homme à l’héritage qui appelait maintenant maître Pol son cher cousin.

Elle n’oubliait rien, elle était à tout.

Vous souvient-il de cette coquille où Aristide le Juste écrivit son nom, sur la demande d’un paysan d’Athènes ? Ce nom écrit, c’était une sentence d’exil. Aristide interrogea, désirant savoir pourquoi ce paysan inconnu le condamnait, et ce paysan répondit : « Je condamne Aristide, parce qu’il m’ennuie. »

Il ne faut pas être trop aimé, ni trop digne de l’être. C’est dangereux, parce que cela ennuie.

J’ai vaguement la crainte que le lecteur ne condamne notre belle Éliane.

Elle sait trop de choses, elle travaille trop pour ce beau grand garçon paresseux, qui est son mari. Afin d’apaiser un peu le paysan athénien qui déjà la prendrait en grippe, je me hâte de dire qu’elle commit en sa vie un gros péché.

Un seul, mais un bon ! Nous verrons bien cela en temps et lieu.

Les choses politiques avaient marché pendant ces cinq années. Le Diable rouge, comme M. de Vendôme appelait le cardinal de Richelieu, avait grandi dans des proportions tout à fait inattendues. Tournant le dos à Marie de Médicis, dont il était la créature, il avait en quelque sorte garrotté cet esprit remuant et superbe : il opprimait franchement la jeune reine, Anne d’Autriche, qui tremblait à son seul nom, il jouait Gaston d’Orléans comme un enfant ; il tenait son pied puissant et pesant sur la gorge des princes, balayait les ducs, écrasait les favoris et serrait à la gorge le roi lui-même, qui le redoutait, qui le haïssait et qui lui obéissait en toutes choses.

L’année précédente, pour lui plaire, le roi avait attiré à la cour ses deux frères illégitimes. César de Vendôme et Alexandre, grand prieur de France, ce dernier sous promesse de le faire grand amiral.

Il leur avait demandé leurs épées, à tous les deux, et, depuis lors, ils étaient prisonniers au château de Vendôme, où s’était écoulée leur royale et libre jeunesse.

Le roi avait fait pis : le roi avait laissé tomber de l’échafaud la jeune et belle tête d’Henri de Talleyrand, comte de Chalais, son meilleur ami.

Rien ne pouvait servir d’égide contre les terribles colères du cardinal ; rien, pas même la faveur de ce faible et triste monarque qui n’avait d’autre courage que celui des camps, et qui devait dire plus tard, en consultant son horloge, à l’heure où mourait un autre de ses favoris :

« Voici un mauvais moment pour M. de Cinq-Mars ! »

L’Europe et la France tremblaient devant cette belle