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X

À QUOI SERT UN INTENDANT HONNÊTE HOMME.


Quoiqu’il tînt une charge de roture, l’intendant Guezevern portait un costume de gentilhomme : un très-riche costume. Il aimait briller et n’était pas peu fier de sa belle mine.

Par le fait, il en avait sujet : ces cinq années avaient donné à sa mâle prestance le cachet de la perfection, et vous auriez eu de la peine à trouver en la cour du roi Louis XIII, parmi tant d’élégants seigneurs, un cavalier plus accompli.

C’était, en somme, une heureuse femme que notre jolie Éliane, et son ménage pouvait passer pour un des meilleurs qui fût sous le soleil.

Une si charmante teinte de pourpre couvrit son visage et jusqu’à son sein, au récit du rêve de maître Pol, que celui-ci crut un instant à la réalisation de son vœu le plus cher. Il pensa qu’Éliane allait parler et dire :

« Ami, ton rêve était une prophétie. »

Mais il n’en fut rien. Éliane se tut.

Et quand elle parla, enfin, ce fut pour murmurer :

« Nous ferons des neuvaines. »

Maître Pol n’avait donc plus qu’à causer d’autre chose et à faire sauter le petit Renaud sur ses genoux, ce dont il s’acquitta de grand cœur.

« Et n’avons-nous point de nouvelles de messieurs de Vendôme ? demanda-t-il après quelques minutes.

— Si fait, répliqua Éliane tristement, on dit que M. le duc est en liberté.

— Et tu m’annonces cela comme si c’était un malheur ! s’écria Guezevern.

— C’est un malheur, en effet, reprit Éliane, car il est privé de ses charges et dignités. Son gouvernement de Bretagne est donné à un autre.

— Malepeste ! fit l’intendant, voilà un mauvais coup !

— On dit encore, ajouta Éliane, que M. le grand prieur s’en va mourant au château d’Amboise où M. le cardinal le retient, parce qu’il n’a voulu faire ni soumission ni aveux.

— Des deux frères, grommela maître Pol, M. le grand prieur était l’aîné par la tête et par le cœur ! »