Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/81

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« Je vous prie de faire en sorte, madame ma nièce que, toute affaire cessante, monsieur mon neveu, Pol de Guezevern se dirige immédiatement vers mon château de Pardaillan.

« Les circonstances qui m’ont fait éviter jusqu’à présent une rencontre avec vous, que j’honore et que j’aime, ne sont plus. Vous devrez, s’il vous plaît, accompagner votre mari.

« Je regarde comme un suprême devoir de laisser en dignes mains l’héritage de mes aïeux, héritage fort envié, et qui est plus considérable encore qu’on ne le croit généralement. Pour ce faire, j’ai besoin de mon neveu Gruezevern, car il y a d’autres droits que les siens et ces droits sont aux mains de gens puissants.

« J’ai d’autres raisons encore, d’un ordre fort différent et qu’il serait dangereux de confier au papier. Ces raisons vous regardent.

« Pour donner force et valeur à mes dispositions, l’acceptation et par conséquent le seing de mon neveu Guezevarn sont indispensables.

« Si donc, par impossible ou par malheur, pour cause de maladie grave ou autre, mon neveu Guezevern se trouvait empêché de venir, je vous prie, madame ma chère nièce, dans votre intérêt comme dans le sien, de m’apporter les pouvoirs de votre mari, et, par provision, plusieurs signatures en blanc, afin que nous puissions passer des actes entre-vifs, toujours plus solides que les établissements testamentaires.

« Le temps presse. Cette lettre que je n’aurais pu écrire est de la main de mon chapelain. Priez pour moi, venez vite, et que Dieu vous ait, madame ma nièce, en sa sainte et digne garde. »

Ces lignes étaient suivies d’un post-scriptum tremblé et presque illisible qui disait :

« Ma bien chère enfant, hâtez-vous. J’ai peur de mourir avant de vous avoir révélé mon secret qui est le vôtre. »

Ceci était de l’écriture d’Antoine-François, comte de Pardaillan.

Au-dessous, quelques mots étaient tracés.

« Ne perdez pas une minute, madame, au nom du ciel ! »

Ces mots appartenaient à la même main que le corps de la lettre.

Tout le monde aimait Éliane, et le chapelain du vieux comte l’avait prise en affection.

Peut-être que si ces mots n’eussent point existé, Éliane aurait envoyé un coureur sur les traces de son mari, malgré la rigueur du devoir qu’il était en train d’accomplir.

Mais quelque chose lui disait que ces mots étaient l’expression absolue de la vérité : il n’y avait pas une minute à perdre.

Elle réfléchit pourtant ; elle hésita.

Quand le valet revint lui annoncer que tout était prêt pour le départ, elle lui commanda rudement de se retirer.