Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/82

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Et elle resta, immobile comme une statue, plongée qu’elle était dans sa méditation.

Les douze coups de minuit, en sonnant, l’éveillèrent.

Elle se leva, pâle, mais résolue.

Elle ouvrit un compartiment secret du bureau principal, et y prit plusieurs feuilles de parchemin qu’elle timbra aux armes de Guezevern et au sceau de Vendôme.

Puis elle s’assit devant son bureau et sa plume ferme courut sur le premier parchemin, écrivant une procuration en forme, quelle signa du nom de son mari.

« Je fais ici, dit-elle, répondant peut-être à un reproche de sa conscience, mon œuvre de tous les jours. Tous les jours j’écris, tous les jours je signe pour mon mari, qui le veut ainsi. L’écriture qu’il a, c’est moi qui la lui ai donnée. Nous ne faisons qu’un, ou plutôt, c’est moi qui suis sa main droite et sa volonté.

« En outre, ajouta-t-elle, s’il était là, près de moi, j’en suis certaine, et c’est à Dieu même que je le dis, s’il était là, près de moi, les choses seraient comme elles sont exactement, rigoureusement : j’écrirais et je signerais. »

Par le fait, il n’en était jamais autrement depuis des années.

Et pourtant le cœur d’Éliane battait.

« Mon fils ! mon fils ! murmura-t-elle. S’il y a un châtiment à craindre, qu’il soit pour moi seule, et non pour toi ! »

Quand elle eut rempli le premier parchemin, elle signa les deux autres en blanc et fit du tout un paquet.

Puis elle quitta le bureau ; mais, comme elle se levait, une sorte de vertige la prit. Elle porta ses deux mains à son sein.

Ce n’était pas de l’angoisse qu’on aurait pu lire en ce moment sur la pâleur de son charmant visage.

Et le malaise éprouvé par elle n’était point le résultat de ce qu’elle venait d’oser.

Quatre ans auparavant, quelques mois après son mariage, elle avait éprouvé la même souffrance à laquelle la naissance de maître Renaud avait mis un terme.

Non, non, ce n’était pas de l’angoisse, c’était une mystérieuse et douce joie.

« Je n’ai rien dit à Guezevern, pensa-t-elle tout haut, tandis que ses paupières se mouillaient. Avant de parler, je voulais être sûre… bien sûre ! son désir est si grand ! et l’espoir trompé est une peine si amère ! »

Elle se dirigea vers la porte de sortie. En passant devant le prie-Dieu, elle fléchit le genou et murmura avec un élan de ferveur passionnée :

« Sainte Vierge, donnez une sœur à mon fils ! Sainte