Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 2.djvu/258

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tendues de noir absorbaient les rayons faibles de la lampe, posée sur une sorte d’autel où était un christ d’ivoire, soutenu par une croix d’ébène. L’ameublement ressemblait aux tentures. Dans l’alcôve qui faisait face à la porte par où s’introduisait Estéban, il y avait deux lits : l’un vide et dont la couverture faite attendait son hôte habituel, l’autre contenant un corps dont le visage était couvert d’un voile noir.

L’émotion d’Estéban se glaça devant cet aspect. Un froid sourire vint à sa lèvre, tandis qu’il murmurait :

— Deuil fastueux et menteur. Une douleur sincère aurait-elle dormi quinze ans côte à côte avec cette supercherie ?

Il entra. Désormais, sa figure était sombre et dure. Il traversa la chambre d’un pas lent, et s’arrêta entre les deux lits.

— Que peut-elle dire à Dieu ? pensa-t-il en passant devant le crucifix.

Puis, regardant le corps couché, il ajouta :

— Me voici donc ! voici Pol de Guezevern arrivé au comble de ses vœux et devenu comte de Pardaillan ! Misère humaine ! j’ai passé ma jeunesse entière, ma jeunesse heureuse à souhaiter ce titre et ce nom… Mais, voyons, suis-je un simple mannequin ou suis-je un vrai cadavre ?

Il se pencha au-dessus du lit ; la lampe n’envoyait au masque noir qui sortait des couvertures que de vagues et insuffisants reflets. Aucun trait saillant ne repoussait la soie plate du voile. Estéban hésita, puis, avec une sorte d’horreur, il toucha le masque. Il sentit sous la soie quelque chose