Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 2.djvu/306

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Madame Éliane effleura de ses lèvres le voile noir qui recouvrait la figure du mort.

— Toi aussi, murmura-t-elle, tu quittas la vie pour sauver ceux que tu aimais. Chaque parole de ton pauvre message est gravée dans mon cœur. Je vais faire somme toi : je vais à toi !

Elle déboucha le flacon de cristal d’une main ferme.

Mais avant de le porter à ses lèvres, elle tressaillit et une pâleur plus mate envahit ses joues.

— Pardonnez-moi, Dieu, mon créateur, dit-elle tout haut, je veux vous donner mon âme !

Elle déposa le flacon sur la tablette qui était à côté du lit de Guezevern, et marcha d’un pas ferme vers le prie-Dieu où elle s’agenouilla.

Pendant qu’elle était là, prosternée et perdue dans son recueillement profond, deux sons parvinrent à ses oreilles. C’était d’abord le bruit du rez-de-chaussée qui allait s’enflant et qui semblait se rapprocher. Ce fut ensuite un frôlement à peine perceptible qui paraissait partir de l’alcôve.

Ce dernier bruit ne dura que l’espace d’une seconde.

Madame Éliane ne se retourna point, parce qu’elle était sûre d’avoir fermé à clef la porte de l’alcôve.

Des pas lourds montèrent le grand escalier, des portes furent ouvertes avec fracas, des armes sonnèrent. Il était temps. Éliane baisa passionnément les pieds du crucifix, et se leva dans toute sa radieuse beauté, le front calme, le sourire aux lèvres.