Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/128

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William prit dans sa houppelande une bouteille plate et carrée, qui contenait de l’eau-de-vie. Il but un large coup.

— Depuis cette affaire-là, dit-il, nous n’avons pas pu nous relever ! Nous avons manqué tous nos coups à Londres, à Berlin, à Vienne… C’est lui qui nous porte malheur !

Il passa la bouteille à Bobby, qui but et répéta :

— C’est lui qui nous porte malheur !

— Quand nous devrions le tuer pour son sang seulement, il faut qu’il meure !

— Il faut qu’il meure ! répéta encore Bobby, J’ai tous les renseignements nécessaires. À Szeggedin, on ne s’occupe que de lui, à cause de l’histoire du missel, qui tourne toutes les têtes. Il est à Chandor : il chasse, il pêche, il soupire à la lune de miel. Demain, il y a justement grande chasse…

— Nous en serons ! gronda William.

— Nous en serons. Il faudra être debout de bonne heure : allons nous coucher, vieux William.

Le lendemain, avant le jour, ce bon petit vieillard Petroz Aszuth était attelé à sa charrette et voiturait son fils maniaque vers la fontaine de salut. Les valets et servantes de l’auberge étaient vraiment édifiés par la conduite de ce bon petit vieillard : ils lui enseignèrent son chemin et lui souhaitèrent heureuse chance.

Le chemin de la fontaine était la route du château de Chandor. Après une heure de marche et au moment où le crépuscule blanchissait l’horizon, la charrette atteignit les grands bois du domaine de Baszin.

Le petit vieillard quitta la grande route et poussa la charrette dans un épais fourré. Le fils infirme, recouvrant tout à coup l’agilité de son âge, sauta d’un bond de la charrette, où se trouvaient deux fusils à deux coups, et deux costumes de paysans tzèques. La toilette fut faite en un clin d’œil et la carriole à bras cachée sous des feuillages.