Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/149

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Elle rentra. La nouvelle du départ de son fils fut un coup terrible pour le médecin bleu. Jusqu’alors il avait compté le ramener à ses propres croyances, mais tout espoir était désormais perdu.

— J’ai donc assez vécu, s’écria-t-il, pour voir mon fils devenir le suppôt des tyrans !

Sainte n’essaya point en ce moment de prendre la défense de son frère. Il fallait, pour ce rôle conciliateur qu’elle s’était imposé, non seulement de la bonne volonté, mais aussi de la prudence et de l’adresse. Elle attendit.

Ce soir-là, le citoyen Saulnier refusa de prendre part au modeste souper que lui avait préparé Sainte. Il se retira dans sa chambre en silence, et passa la nuit en proie à une fièvre ardente. La fuite de René avait doublé tout d’un coup sa haine contre les partisans des princes exilés. Il accusait les Chouans d’avoir séduit son fils, et de l’avoir entraîné dans leurs ténébreuses associations.

Ce soupçon n’était point sans quelque fondement.

René, pendant son séjour à Saint-Yon, visitait souvent, à l’insu de son père, la cabane de Jean Brand. Le ci-devant bedeau était trop prudent pour endoctriner lui-même le jeune homme : il eût fallu se confier à lui, et Jean Brand ne se fiait à personne ; mais il y avait sous son toit un autre avocat dont l’éloquence avait un grand pouvoir sur le cœur de René. Marie Brand était royaliste, et elle portait dans la manifestation de son opinion la fougue ardente et indomptée qui était le fond de son caractère. Quand elle parlait de la mort de Louis XVI ou des innombrables meurtres par lesquels la Convention déshonorait sa cause, son œil flamboyait d’un éclat étrange ; sa voix d’enfant vibrait et atteignait un diapason presque viril.

René dévorait la parole de la jeune enthousiaste. Sa haine propre se fortifiait de la haine de Marie, et