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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/167

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Et comme Sainte, dans sa naïve curiosité, s’informait de son nom, on lui répondit, avec l’emphase propre aux paysans de la haute Bretagne :

« Des gens l’ont connue et fréquentée, qui n’étaient pas dignes de dénouer les cordons de ses souliers ; ceux-là l’appelaient Marie Brand ; mais son vrai nom est mademoiselle de Rieux, marquise d’Ouëssant, d’Acérac, de Sourdéac et de Châteauneuf-de-la-Mer ! »

Sainte s’émerveillait de ces récits, mais elle n’avait garde d’envier le sort brillant de son ancienne compagne. Elle se souvenait des paroles du bon prêtre et n’ambitionnait point d’autre rôle que celui que l’abbé de Kernas lui avait, autrefois, tracé en trois mots : paix, conciliation et pitié. Comme elle aimait encore Marie, et que Marie était en péril, elle unissait dans sa prière de chaque jour, son nom à ceux de René et de son père.

Un jour, il y avait longtemps que le Médecin bleu n’avait paru à la cabane, Sainte revenait de la forêt où s’était dirigée sa promenade solitaire, lorsqu’un fracas soudain retentit derrière elle : c’était le bruit d’une vive fusillade, Elle tourna la tête et vit une cinquantaine de Chouans franchir le talus du chemin et s’enfuir, poursuivis par un nombre double de républicains. Ils passèrent rapidement auprès d’elle.

— Voici un otage ! s’écria l’un d’eux ; saisissons la fille du Médecin maudit !

Mais les fuyards étaient presque tous des gens de Saint-Yon. Ils passèrent, et plusieurs même soulevèrent leur chapeau en disant :

— Dieu vous bénisse !

Quelques-uns, pourtant, étrangers au bourg, s’arrêtèrent, ayant à leur tête celui qui avait parlé le premier et qui n’était autre que Jean Brand, revêtu de son costume de capitaine, c’est-à-dire portant le feutre à plumes, la veste à revers et la ceinture blanche,

— Saisissons-la ! répétèrent-ils.