Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/170

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merveille pour un observateur, que de voir la sympathique mélancolie qui envahit tout à coup le rude visage du proscrit.

Jean Brand était un de ces hommes énergiquement trempés qui surgissent aux jours des révolutions. Simple, dépourvu de toute espèce d’instruction, mais possédant un coup d’œil rapide autant que sûr, et cet imperturbable sang-froid dans le danger, qui est la première vertu d’un chef de partisans, il avait gagné la confiance des nobles qui commandaient la chouannerie. C’était lui qui, avec M. de Vauduy, dirigeait la bande des environs de Saint-Yon, composée en majeure partie des anciens vassaux de la maison de Rieux. Jean Brand pouvait être cruel par circonstance ou par nécessité, mais son cœur, fort dans le bien comme dans le mal, était capable d’une reconnaissance sans bornes. La conduite de Sainte l’avait touché plus que nous ne saurions dire ; cette chose sublime que commande la religion chrétienne et que pratiquent si peu de chrétiens, le pardon des injures, semblait au Chouan demi-sauvage un acte de vertu surhumaine. Il avait fait le mal, on lui rendait le bien ; ce n’était là qu’accomplir strictement la lettre de la morale évangélique ; mais, dans les campagnes bretonnes, la loi du talion est en vigueur, et ceux-là seulement qui sont trop faibles pour se venger font fi de la vengeance.

Jean Brand suivait donc avec sollicitude la mélancolique rêverie de l’enfant qui venait de lui sauver la vie, et se sentait venir à l’âme une tendresse croissante.

— Oh ! oui, murmura-t-il involontairement, s’il veut me tuer, il me tuera ; mais moi, je le respecterai comme s’il était mon propre frère.

Sainte leva sur lui un regard voilé de larmes.

— Pourquoi pleurez-vous ? demanda-t-il.

— Hélas ! répondit Sainte, je vous crois sincère, mais est-il temps encore ? Il y a quinze jours que je n’ai eu de nouvelles de mon père.