Aller au contenu

Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autre fois, quand je me vois, pauvre enfant que je suis, au milieu de tous ces hommes dévoués, mais grossiers et toujours prêts à lâcher la bride à leurs passions brutales, faut-il le dire ! j’ai peur.

Elle cacha sa tête dans le sein de son amie.

— Oh ! reprit-elle après un moment de silence, ce n’est pas la mort que je crains. Mon bras est faible, mais mon cœur est fort. Ce qui me ronge, c’est le doute : parfois, je crois surprendre un sourire de pitié sur les lèvres de mes hommes ; parfois, ils me répondent avec cet air de condescendance que prennent les bons serviteurs envers l’enfant gâté d’un maître qu’ils aiment. Admirent-ils ma précoce énergie ? Raillent-ils mes inutiles exploits ? Suis-je grande ou suis-je ridicule ?

En prononçant ce dernier mot, elle lança à la dérobée, vers Sainte, un regard plein d’anxiété.

Celle-ci fut quelque temps avant de prendre la parole. Quand elle rompit enfin le silence, ce fut d’un ton grave, presque sévère.

— Et c’est là tout ce que vous craignez ? dit-elle.

— N’est-ce pas assez ?

— Un jour, le curé de Saint-Yon, que vous respectiez autrefois, Marie.

— Et que je respecte encore…

— Je le souhaite. Un jour donc, le saint prêtre me dit ces paroles, qui se sont gravées dans ma mémoire : « En ce temps de luttes impies, ma fille, le rôle d’une femme doit être le rôle de paix, de conciliation et de pitié. » Ne vous a-t-il jamais rien dit de semblable, Marie !

— Si fait… je crois me souvenir. Mais je trouve injustes et cruelles ces prescriptions qui font de la femme un être passif, un être nul.

— Nul pour le mal, et tout-puissant pour le bien ! pensez-vous que ce soit un mauvais partage que le nôtre ?

— Je ne sais, dit Marie en soupirant ; peut-être as-