Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/23

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fille ne veut-elle point qu’on lui dise sa bonne aventure ?

« Ses yeux hardis étaient fixés sur Lénor qui avait rougi et semblait mal à l’aise. Les sourcils du prince se froncèrent, et il ouvrait la bouche pour appeler ses valets, lorsque la douce voix de Lénor le prévint.

« — Père, lui dit-elle, je voudrais savoir…

« Mikaël fit aussitôt un pas vers la jeune fille, jeta sa toque à terre et s’agenouilla dessus, tandis que Solim restait debout au milieu de la chambre, les bras croisés sur sa poitrine et les regards baissés. Mikaël, d’un geste, appela la main de Lénor qui la donna comme malgré elle. Il l’examina longuement et minutieusement, prononçant par intervalles de brèves paroles en une langue inconnue. Ces paroles étaient adressées à Solim, toujours immobile au milieu de la salle ; ces paroles semblaient produire sur Solim une impression extraordinaire. Tous ses membres tremblaient ; les veines de son front se gonflaient et ses cheveux s’agitaient autour de ses tempes. C’était la pythonisse antique sur son trépied. S’il y avait comédie, on peut affirmer qu’elle était bien arrangée.

« C’était Mikaël qui avait examiné la main ; ce fut Solim qui rendit l’oracle, disant :

« — Hospodar ! malheur sur moi qui vais parler de malheur ! Je vois de loin, au travers de la nuit, le vampire Angel qui a les yeux sur ta fille… »

« Le prince éclata de rire pendant que Lénor pâlissait.

« — Il y a donc encore des vampires ? s’écria le prince, dont la gaieté continuait, ils doivent être bien vieux !

« Mikaël revint auprès de son frère et lui mit la main sur la bouche comme pour la lui fermer d’autorité. La figure de Jacobyi s’assombrit et, frappant du poing la table, il dit :

« — À mon tour, je veux savoir !… Et souvenez-vous