Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/75

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noire sortit de dessous le fauteuil de M. d’Arnheim, pour sauter sur une chaise et de là sur la table auprès de laquelle Gaston se tenait debout. Elle se mit à lécher la main de Gaston. Le vieillard détourna les yeux.

— Je me souviens que je priais Dieu ardemment, du fond de ma détresse, continua Mlle d’Arnheim. Je lui demandais de faire un miracle et d’envoyer à mon père cette manne que les oiseaux célestes apportaient aux abandonnés du désert. Quand Mina revint, M. le marquis n’était plus là, mais Mina posa son museau sur mes genoux, et dans les plis de ma robe, je vis briller une pièce d’or…

M. d’Arnheim laissa échapper un gémissement. Mina sauta d’un bond sur le tapis et voulut lui faire une caresse ; il l’écarta de ce même geste doux et triste qui avait repoussé sa fille.

— Nous ! les Baszin ! murmura-t-il.

Puis il demanda d’une voix qui allait s’altérant :

— Cela s’est-il renouvelé ?

— Vous avez été malade pendant trois mois, répondit la jeune fille. Ce grand et riche hôtel que vous aviez coutume d’admirer, c’est la maison de la princesse de Montfort ; sais-je comment Mina en apprit la route ? Quand il ne restait plus rien de la pièce d’or, Mina sortait, et toujours elle revenait avec la manne.

— Et vous saviez d’où venait la manne, n’est-ce pas ?

— C’était de Dieu que je l’avais implorée, mon père.

— Et vous laissiez sortir Mina !… et vous n’aviez pas honte !

Les lèvres du vieillard tremblaient ; ses paupières battaient comme si elles eussent fait effort pour contenir des larmes.

— Mon père, prononça Mlle d’Arnheim à voix basse, je laissais sortir Mina parce qu’elle me rapportait le souffle de votre poitrine et le sang de vos veines…