Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/74

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— Monsieur le marquis, prendre le dernier bien d’un désespéré, c’est voler sur l’autel !

— Mon père, mon bon et noble père ! s’écria la jeune fille, je ne me séparerai jamais de vous, et je jure que je n’ai mérité aucun reproche.

— Alors, dit le vieillard en jetant un regard de mépris sur Gaston, celui-là est un fou, il a menti, qu’il se retire !

— Pas avant d’avoir votre réponse, prince, répliqua le jeune marquis : j’ai dit la vérité, j’aspire à la main de votre fille ; elle le sait.

— Vous le saviez, Lénor ? demanda M. d’Arnheim.

— Il vient de le dire devant vous, mon père, répondit celle-ci d’une voix défaillante.

— Et avant cela ?…

— Mon père, avant cela, répondit la jeune fille en se laissant tomber à ses genoux, nous n’avons jamais échangé une parole.

— Il y a ici une énigme… commença le vieillard dont le front se couvrit d’un nuage plus sévère.

Sa fille releva sur lui ses yeux baignés de larmes !

— Il n’y a rien, mon père, dit-elle, que ma tendresse pour vous et notre infortune. Pendant que vous étiez malade, et après avoir vendu tout ce que je possédais au monde, il m’arriva un jour d’aller chercher des remèdes sans avoir l’argent qu’il fallait pour les payer. On refusa de me les donner à crédit. Je m’assis sur la borne, anéantie et découragée :

— Et tu demandas l’aumône, enfant ! s’écria M. d’Arnheim, dont tout le corps frissonna.

— Je l’aurais fait, mon père, si la pensée m’en était venue. Mais tout était perdu en moi, et je ne songeais plus qu’à revenir près de vous, pour mourir avec vous. M. le marquis passait ; il s’arrêta devant moi ; je ne le voyais pas. Mina m’avait suivi ; Mina alla vers lui…

À ce nom de Mina, une petite chienne épagneule