Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/9

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de juger les belles âmes récuser d’abord toutes les incapacités, toutes les envies et toutes les haines. Ce serait du travail, et l’enquête préliminaire pour la constitution de pareil jury pourrait longtemps durer.

Peut-être, disais-je : donner est beau ; faire donner vaut mieux souvent, parce que le résultat est plus large. Les fêtes de Mgr  de Quélen étaient fécondes au point de vue de la bienfaisance. Rarement se terminaient-elles sans que le malheur eût sa dîme prélevée abondamment sur ces graves et nobles plaisirs.

Ce n’était pas tout, cependant ; Mgr  de Quélen avait encore une autre habitude dont le faubourg Saint-Germain et la cour se plaignaient parfois avec quelque amertume : c’était un déterminé protecteur ; il était entouré d’une armée de protégés, et pour ses protégés, il combattait avec une vaillance aussi méritoire que redoutée. Ses fêtes étaient de pacifiques tournois où il rompait des lances en faveur de la jeunesse ardente à parvenir, ou de la vieillesse invalide revenant de la bataille de la vie.

Je pourrais citer par leur nom des gens très haut placés qui doivent se souvenir, et pour cause des fêtes de Mgr  de Quélen.

C’était donc un soir de septembre, en cette année 1825 qui avait vu le sacre de Charles X et les prodigieux enthousiasmes de Paris pour ce prince que Paris devait, sitôt après, condamner à la mort dans l’exil. Le temps était orageux et d’une chaleur accablante. Quoique la nuit commençât à tomber (on avait dîné à trois heures, selon la mode du moment), personne ne songeait à regagner les salons. Le parc était un refuge contre la température torride. Quelque fraîcheur tombait des grands arbres, et parfois une bouffée de brise, montant de la rivière, basse et lourde, essayait de balancer les feuillées.