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— Chez nous, le bonheur ment !

Éliane la regarda dans les yeux. Elles étaient du même âge et belles toutes les deux, mais il y avait entre elles un contraste absolu. Charlotte d’Aleix avait la beauté de celles qui protègent ; la grâce en elle n’excluait point la force ; chacun de ses mouvements décelait l’harmonie exquise et puissante de la jeunesse. Son regard vivait, son port commandait. La délicieuse douceur de sa prunelle tombait de haut.

Éliane était la pauvre fleur dont la tige trop frêle s’incline hors du bouquet et pend au bord du vase. Sa mère, qui était là triste et raide comme un bronze, ne lui avait rien donné de ses vigueurs — mais qui sait ce que peut une goutte de rosée pour la fleur mourante ? un rayon de joie pour les cœurs flétris ?

— Mon Joseph devrait être déjà de retour, dit-elle tout haut, mais quelquefois, il travaille bien loin d’ici.

Elle ajouta en baissant la voix :

— Chère ! chère princesse, moi qui croyais que vous nous trompiez ! Je me disais : elle fait semblant d’avoir besoin de Joseph pour ne pas humilier ce qui nous reste de fierté…

Charlotte mit un doigt sur sa bouche et reprit à haute voix :

— Mais pourquoi ne pas m’avoir écrit depuis le printemps ?

— Nous ne savions pas en quel pays de fête vous dansiez, répondit l’aveugle sèchement.

— Oh ! mère ! fit Éliane.