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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/132

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sans toi je serais commis à dix-huit cents francs dans quelque bureau moisi : tu vois bien que tu es mon bon ange ! »

Edmée sourit, car elle ne s’attendait pas à cette chute. Elle dit :

« Tu aurais la paix, Michel ! Et l’espoir d’avancer.

— Ne blasphème pas ! J’ai vécu de luxe et d’orgueil dans cette maison Schwartz à l’âge où le caractère naît et se modèle. Je suis resté bon, puisque je t’aime. Mais écoute ceci, Edmée : une fois, ma mère m’a dit avec des larmes dans les yeux : Ma jeunesse fut orgueilleuse. Eh bien ! je suis le fils de ma mère ! »

Edmée baissa la tête.

« J’avais des amis, reprit Michel. Outre Étienne Roland et Maurice Schwartz qui m’ont témoigné un dévouement fraternel, j’avais ce brave Domergue qui entretenait ma vanité en me disant, à l’aide de charades qui étaient claires comme de l’eau de roche, que j’étais le fils de M. le baron Schwartz. Il le savait de science certaine, et il le croit encore dur comme fer. J’avais la comtesse Corona qui me parlait en énigmes moins naïves et me montrait la porte ouverte du jardin d’Armide ; c’était Trois-Pattes, l’estropié du Plat-d’Étain, qui m’apportait les messages de cette charmante femme. Voilà un rébus, ce couple fantastique : la comtesse et Trois-Pattes ! Elle vient le voir : tu le sais comme moi… Mais M. Lecoq seul au monde pourrait dire le mot de ce romanesque mystère. Enfin, j’avais mon escompteur normand, M. Bruneau, qui m’achetait ma garde-robe pièce à pièce et m’avançait de l’argent. Ma mère ne savait rien de tout cela, au moins ! Et il y a bien peu de jours que je l’appelle ma mère… Ne ferme pas les yeux encore, Edmée, nous voici au dénoûment.