Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/164

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à le croire. En cherchant avec soin, vous découvririez dans l’antiquité même des traces de la boutique moderne où l’on vend la chose invisible.

Deo Ignoto ! disait le paganisme au bout de son latin. Magasins de fumée, bazars de vent, comptoirs de chimères ! s’écrie notre goguette industrielle. Il y a des gens qui achètent de tout cela.

Derrière cet huis à deux battants qui portait pour enseigne : Agence Lecoq, on trouvait une très vaste antichambre, transformée en bureau, et coupée selon sa largeur, en deux parties égales, dont l’une appartenait au public, l’autre aux employés, défendus par un grillage que doublaient des rideaux de soie verte. Cela ressemblait assez au vestibule d’une banque de second ordre ou au bureau public d’un agent de change. Quoique neuf heures du soir eussent sonné et que ce fût dimanche, on entendait causer derrière la soie : preuve que les affaires marchaient.

Le salon suivait le bureau, une fort noble pièce, meublée à la papa, velours ponceau et acajou bruni, pendule à sujet philosophique, candélabres riches, mais d’un fâcheux modèle, tapis d’Aubusson un peu fatigué, guéridon portant des brochures politiques, piano à queue immense, tableaux dont les cadres avaient de la valeur. Tout cela, pour le quartier, était tout simplement splendide.

Le salon, éclairé par une lampe qui brûlait tristement sur le guéridon, était solitaire.

On ne saurait exprimer d’un mot la physionomie du « cabinet » qui venait après le salon. C’était ample et grave, il est vrai, au premier aspect, mais on y flairait une odeur de pipe. En 1842, la pipe n’avait pas dans le monde la position qu’elle a aujourd’hui. Nos mœurs laissaient encore à désirer. Cette odeur de pipe pouvait