Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/204

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— Je suis perdue ! » l’interrompit-elle d’une voix sourde qui fit tressaillir l’estropié dans sa cachette.

Cette voix disait, bien mieux que les paroles elles-mêmes, l’angoisse profonde qui emplissait ce cœur.

« Je le crois comme vous, belle dame, répliqua M. Lecoq froidement, et cependant nous n’avons pas la même opinion, j’en suis bien sûr, au sujet des motifs de votre perte.

— Pouvez-vous faire, demanda brusquement la baronne, à prix d’or ou autrement, que cette jeune fille, Edmée Leber, s’embarque sur-le-champ pour l’Amérique ? »

M. Lecoq eut un sourire dédaigneux qui se refléta, plus amer, mais plus triste, sur les lèvres de M. Mathieu.

M. Lecoq répondit :

« Il y a treize jours de traversée entre New-York et le Havre. Je crois qu’on peut gagner encore un jour ou deux. Envoyer quelqu’un en Amérique ! On avait de ces idées-là au temps des navires à voiles et des diligences ; mais aujourd’hui, on prend mieux ses précautions. Ne vous inquiétez pas trop de cette jeune fille. C’est le petit côté de la question.

— Vous ne savez pas… l’interrompit la baronne.

— Si fait, je sais. La pensée, ambitieuse ou non, que j’ai eue un jour d’être le gendre de M. le baron Schwartz m’a fait ouvrir les yeux, vous concevrez pourquoi, sur votre riche et honorable maison. Peut-être le premier soupçon m’est-il venu de ce fait que vous cédiez à mes vœux avec une certaine répugnance. Des princes de l’argent comme vous ne doivent pas céder quand ils ont une répugnance. Mais peut-être aussi avais-je des jalons fort antérieurs. Et certes, il me fallait bien quelque motif, un peu romanesque, à mon